Les Malheurs de l’entreprise

Entreprise Thomas Philippon

Les récents drames dans l’industrie automobile française (plusieurs suicides de cadres en quelques semaines) mettent à nouveau à jour la pression sous laquelle travaillent nos concitoyens. Si effectivement la situation est grave, je ne partage pas l’alarmisme délirant de ce Rebond dans libé (notez la grande sagesse des 2 premiers commentaires – quel discernement !).

Le remarquable ouvrage de Thomas Philippon que j’ai déjà évoqué ici avance de brillantes théories sur notre grande difficulté à travailler ensemble, que ce soit dans le privé ou le public d’ailleurs. Entre parenthèses, il s’agit d’un des grands regrets de Mitterand que de ne pas avoir pu/su fluidifier et harmoniser ces relations.

Ce que j’ai pour ma part remarqué c’est qu’il est aussi très pénible de travailler en France pour deux raisons principales : a) un grand investissement affectif et donc un manque de distanciation et b) une culture du conflit.

Mon travail, mon enfant

On ne sait pas, comme les protestants, avoir le recul nécessaire pour faire la différence entre ce que nous produisons et ce que nous sommes. Ainsi la critique est-elle très mal prise car on se sent critiqué personnellement alors qu’en fait on critique le produit avec pour objectif que celui-ci soit le meilleur au final.

Il est très difficile d’admettre que ce qui importe ce n’est pas de mettre en oeuvre sa propre idée mais de mettre en oeuvre la meilleure idée pour le projet.

Le coup de gueule comme affirmation de soi

Une autre chose terriblement épuisante dans les relations professionnelles en France est cette culture du conflit, avec le coup de gueule comme vecteur d’affirmation de la personnalité. Alors que dans les cultures protestantes il s’agit là d’une attitude hors de propos et égocentrique.

Le latin identifiera cette réticence à gueuler comme de la lâche soumission alors que pour les protestants il ne s’agit là que d’accepter l’intérêt général : ne pas casser les oreilles, épargner aux collègues des débordements impudiques et se maintenir dans un échange constructif.

L’art et l’avant garde du capitalisme

Enfin, ce que trouve particulièrement ironique c’est que les plus grands détracteurs de la vie en entreprise viennent du monde du journalisme ou du milieu artistique.

Tout le monde sait qu’il s’agit là de deux milieux de franche camaraderie et de grande convivialité. Cette hypocrisie prend une autre dimension lorsque l’on lit Pierre Michel Menger (Portrait de l’artiste en travailleur) peignant le monde artistique comme l’une des formes les plus abouties du nouveau capitalisme (winner takes all etc …).

Et si nous essayions plutôt de trouver ensemble des solutions intelligentes et pragmatiques plutôt que benoîtement tout mettre sur le dos du grand méchant capital ?

5 Comments

  1. C’est un malheureuse mais tellement vraie constatation. A vrai dire, tout ceux qui aiment “bosser” en souffrent réellement tandis que les autres s’y sont résignés comme étant la méthode Francaise.

    C’est d’autant plus visible dans les domaines de pointes ou il y a des fortes contraintes d’innovations et de mises sur le marché. Le manque de prise de risque, de leaders passionnés ou d’investissement des gens provoquent une frustration qui engendre ces conflits.

    C’est tellement dommage vu le potentiel des créatifs en France. C’est si ancré dans les moeurs que les gens constatent un problème mais ne voient même plus leur façon d’agir.

    Plutôt que d’attendre que ça s’arrange — aussi une grande solution Française — certains industries et personnes influentes préférent quitter le pays.

    Quel gâchit.

    J’espère que Nicolas Sarskosy pourra insufler un nouveau mode de pensé mais j’ai bien peur que les Français soient tellement conservateurs qu’il n’y ai pas de changement d’ici 10 ans. Bien après les révolutions en marche.

  2. Le manque de prise de risque est aussi décrit dans l’ouvrage de Philippon. Il cite cet exemple de PME Francaise performante mais jeune qui, par conservatisme, n’avait pas été choisie par un gros groupe Français. En revanche cette PME avait été choisie par un gourpe Italien, directement concurrent du groupe Français.

    Je pense que le problème tient plus du domaine culturel, que du politique. Je ne suis toutefois pas si defaitiste que toi. Il me semble que nous avons en France evolué culturellement dans un grand nombre de domaines ces 10 ou 15 dernieres années (maitrise des coûts de santé, ecologie, violence routiere) et je ne vois pas pourquoi l’entreprise ne beneficierait pas elle aussi de ce changement.

    Le livre de Philippon me semble une piste de reflexions interessantes et c’est pour cela que j’en parle tant.

  3. L’ouvrage de Phillipon est convenu et semble appeler des commentaires “conformistes” (la France est un pays de rigidités, peuplée de “conservatezurs frileux” n’osant pas et bridant ceux qui osent….Bref on nage en plein déni de la réalité économique et sociale, plus complexe et où “résister” au marché qui peuple notre existence (voir le retour non critique à la valeur travail) est perçu comme une tare de crypto-marxistes. Et si la vie consistait justement à ne pas abandonner ce sens critique qui fait l’homme complet (plutôt que l’homme au costume trois pièces et aux trois idées souvent pauvres)

  4. Merci pour votre commentaire et bienvenu sur Heavy Mental.

    Je ne partage toutefois pas du tout votre position. On pourrait la disqualifier en détournant votre remarque et en avançant que “toute critique de la pensée socio-professionnelle de gauche en France est caricaturée en un discours de Traders sans pitié réduisant la critique du travail à une dimension CGTiste”. Et pendant ce temps on n’avance pas et surtout on ne remet rien ni personne en question.

    Thomas Philippon présente l’avantage de ne pas être positionné politiquement (le patronat comme les syndicats voient leur position mise en cause, ces derniers voyant la leur mise en perspective dans un volet historique), ce qui nous fait des vacances. Il se distancie de ces positions antagonistes qui se renvoient la balle de la caricature, dans un sinistre mouvement perpétuel. Enfin, il pense notre rapport au travail sous un angle différent et original.

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