Songwriting in action : Mark Eitzel – Songs Of Love

J’ai chroniqué cet album dans un fanzine étudiant lors de sa sortie en 1991.

A l’époque, fasciné par son parfum coriace, j’avais entretenu avec ce disque une relation quasi obsessionnelle, l’écoutant en boucle comme hypnotisé par ce trop plein de vie. Tout ce que j’écoutais d’autre me semblait fade, sans saveur, vide. Rares sont les albums avec lesquels j’ai partagé une telle intimité.

Je ne vois guère que Hats de Blue Nile, Days in the Wake ou The Mountain ep de Palace Brothers, Ocean Beach de Red House Painters ou What next to the Moon de Mark Kozelek. Un pan brut d’americana, l’essence du sadcore 90s (Swell, Idaho, Mazzy Star, Low, The Apartments).

(Aussi : la raison pour laquelle je serai éternellement reconnaissant aux Inrockuptibles même si aujourd’hui il m’est impossible de lire un numéro dans son intégralité)

Seul avec sa guitare, Eitzel est au plus près de son public et au sommet de son talent. Enregistré en vacances de son American Music Club (avec lequel il sortira son autre chef d’oeuvre la même année : Everclear), cet album annonce avec une prescience terrible le rendez-vous raté de l’artiste avec la gloire. Il y a bien eu un frémissement à la suite d’Everclear avec un contrat sur un gros label et un album Mercury d’excellente facture.  Mais le caractère suicidaire de cette super-production (par Mitchell  Froom, alors Monsieur Suzanne Vega) a prévalu sur sa flamboyance. Et l’ignorance dans laquelle le grand public tient AMC/Mark Eitzel demeure toujours un mystère et une injustice.

Un album qui frappe directement à l’estomac et au coeur, d’une générosité à la profondeur océanique, dans lequel on peut s’abandonner. Des chansons servies par une interprétation d’une densité sidérante (Western Sky réponse de Eitzel au Northern Sky de l’inoubliable Nick Drake), comme des torrents de vies bouleversantes (Kathleen, Jenny) qui vous renversent et vous laisse pantelant. Les histoires de barfly (Gary, Outside this bar) sont particulièrement représentatives :

If you swim too much you drown / And the Shame of my life is watching you drown / If we stay here and drink some more beers / We’ll be like inflated dolls in a hooker bad dream. (Gary)

L’Amérique mythique de Jack Kerouac, de John Fante ou de John Cassavetes avais-je écrit alors, cherchant désespérément dans d’autres formes d’arts des oeuvres comparables pour l’intensité dramatique (Blue and Grey Shirt) ou la qualité d’écriture (Nothing can bring me down, Last Harbor).

Lors de la tournée  60 Watts Silver Lining (épatante collection de torch songs), en Mai 1996 au London Bloomsbury Theater, j’ai eu la chance de le croiser, lui serrer la main et le remercier pour ces chansons et cet album. Ce même soir, à l’entracte, je m’étais soulagé des nombreuses John Smith Extra Smooth dans les toilettes au marbre chic du théatre aux cotés d’un Luke Haynes (The Auteurs) ivre mort : bizarrement, je n’en conserve pas un souvenir aussi pur.

France Culture étant en grève aujourd’hui et le crew des matins (Baddou, Kravetz, Duhamel, Slama …) absent à l’appel, j’ai fouiné d’une main hasardeuse dans mes anciennes K7 pour ressortir et ré-écouter ce chef d’oeuvre, pour la première fois après de longues années. Le choc était identique.

Achetez ce disque.

4 Comments

  1. Salut Daniel,

    Tu étais bloqué dans ma spam queue > ouf je t’en ai délivré.

    Merci pour les 2 liens (le tien, le mien). Je vais de ce click écouter Tim Hardyn.

  2. De liens en liens je suis arrivé sur ton article et je dois dire que j’ai pris beaucoup de plaisir à le lire, pensant “true, true, true” à chaque ligne ou presque ! Cet album reste pour moi la pièce maîtresse de ma ‘petite’ collection de cds (je l’ai d’ailleurs acheté en double à l’époque, au cas où…). Le premier album d’Elvis Perkins m’a touché de façon quasi-identique, l’écriture n’est pas la même mais les frissons sur “While you were sleeping” venaient du même coin que “last harbour”… Bref je m’égare, merci pour la lecture pour la peine -et grâce à toi- je vais m’écouter “everclear” cela fait bien longtemps que ça ne m’est pas arrivé !

  3. Bonjour Flo,

    Merci pour ton commentaire. Ravi de voir que d’autres fan de cet album existent sur l’internet.fr.

    Je ne connais pas Elvis Perkins, je vais m’y pencher de ce clic ! Merci pour la recommandation.

    Et c’est moi qui offre à boire au Royal Café.

    Cecil.

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