Adoncques la grande concertation a démarré sur l’identité nationale.
Mon sentiment est que la vraie question n’est pas de savoir quelle est notre identité nationale, mais pourquoi nous sommes si peu à l’aise devant cette question ? On se pose ici une question collective (identité collective nationale) lorsqu’il faudrait se poser une question individuelle : l’importance de la nationalité dans le construction individuelle.
Le lien défait reloaded donc : Pourquoi lorsqu’un scandinave, un anglais, un suisse, un jamaïcain, un italien, un sud-africaine un (… bref n’importe qui sauf un français) arbore un maillot floqué de son drapeau il passe pour un sympathique patriote alors que si un français fait la même chose il passe pour un infâme suppôt du front national ?
Pourquoi la Mini avec l’union jack sur le toit et sur le galbe arrière des rétroviseurs est si trendy alors qu’une C3 ou une Twingo avec le drapeau français est simplement inimaginable ? Pourquoi lorsque Ségolène Royal propose au peuple de se réapproprier le drapeau passe-t-elle pour une illuminée provinciale ?
Mon sentiment est que c’est à ces questions qu’il faudrait réfléchir et tenter de répondre. Réside ici un impensé culturel que l’on ose aborder ci dessous…
Deutschland (clap ! clap ! clap !)
On m’objectera qu’il faut distinguer les symboles nationaux de la revendication de l’identité nationale. Ce n’est partiellement vrai car ces deux notions demeurent intimement liées.
Lors de la dernière coupe du monde de football, les journalistes allemands expliquaient que c’était la première fois depuis la réunification que des gens osaient ressortir aussi ouvertement et aussi massivement les drapeaux. Cette ferveur avait été contenue jusqu’alors par les hontes héritées du nazisme, de la partition et du régime totalitaire de RDA. Comme cette ferveur était joyeuse et belle à voir ! Comme une grande réconciliation collective avec un partie de soi que l’on auto-censurait.
Pas l’invasion des Sudettes
Mon point de vue est que la nationalité est une composante essentielle dans la construction de l’identité individuelle. Et que cette composante assumée permet d’avoir un de ces points d’ancrage nécessaires pour être en paix avec soi. Cela ne veut pas dire qu’il faut se construire dans la haine de l’autre et le désir d’envahir les Sudettes, mais d’accepter qu’un individu se définit aussi comme une partie d’un tout avec lequel il partage une culture, une langue (qui façonne sa pensée), une histoire, une géographie, des habitudes et une relation au social.
Cela m’a particulièrement marqué chez les Anglais, les Italiens ou les Espagnols qui lorsqu’ils se présentent, après avoir communiqué leur nom, donne la ville dont ils sont originaires et le club de foot qu’ils supportent. Et chez ces trois peuples on sent un sentiment d’appartenance et un attachement culturel qui donne du sens à leur vivre-ensemble. Ce dont nous sommes dépourvus et qui nous laisse flottants et désoeuvrés, mal à l’aise devant ce sujet.
Les malheurs de l’émancipation
Quiconque est allé dans un night-club espagnol et a vu les danseurs locaux se métamorphoser en 10 secondes alors que cesse l’eurodance et survient le Flamenco sait de quoi je parle. Il s’agit de moments magnifiques de communion, de fierté, et d’être ensemble. (Fierté ne venant pas là du fait d’être mais plutôt d’assumer avec dignité son origine ce que Aymeric a merveilleusement formulé : “je ne suis pas fier d’être français mais je fais en sorte d’en être digne“).
Ce “désancrage”, cette errance, sont un autre héritage des Lumières, le principe d’émancipation. Principe qui consiste à arracher les individus à leurs traditions et leurs cultures pour les émanciper, c’est à dire les libérer. Une errance pregnante dans la culture intellectuelle française. Paul Nizon (OK il est Suisse mais a vécu et écrit longtemps à Paris) parle ainsi du sentiment bourgeois d’appartenance.
Et par quoi remplaçons nous cette composante dans la constitution de notre identité ? Par notre profession et l’étendue de nos responsabilités. Quel triste sort.
Demeure la question de ce que nous sommes en tant que société. Dans l’éblouissant Sortir du pessismisme social, Gérard Grunberg a cette analyse fulgurante :
Il y a 2 malentendus dans notre référence au système scandinave. Le premier est que les scandinaves n’ont jamais envisagé leur système comme une alternative au système anglo-saxon (…) il n’y a aucune idéologie derrière le principe qui sous-tend leur système (…) Ils croient suffisamment en leur modèle pour ne pas chercher à le théoriser ou à l’exporter alors que les Français sont d’abord tentés de théoriser un modèle qu’ils ne sont plus sûrs de pouvoir préserver.
Nourrie dans le creuset révolutionnaire (89 et 68) l’identité française, a ceci de peu engageant qu’elle se définit d’abord CONTRE (le modèle anglo-saxon, le libéralisme, les riches, les puissants, le marché etc …). Ensuite, nous faisons tellement les donneurs de leçon avec les droits de l’homme etc … et nos actes sont tellement peu en ligne avec ce que nous prônons que nous avons vidé de substance ces principes magnifiques. D’où le peu d’entrain de rassembler la population autour de ces valeurs.
Pour conclure, je maintiens que le problème n’est pas l’identité nationale mais notre refus d’assumer le pilier qu’est la composante nationale dans la construction de notre identité. La question politique est de comprendre pourquoi en tant que peuple nous nourrissons cet inconfort.
Ah je suis flatté mais bien à tort car cette phrase n’est pas de mon cru. Je citais Jean-Louis Bourlange.
Sur le fond, je crois qu’il est difficile de s’inscrire dans une continuité historique simple et assumée quand le principe de la Tabula rasa développé par la Révolution fait à ce point (et paradoxalement) partie de notre patrimoine.
Quel peuple complexe et attendrissant nous sommes. Un peuple plus sujet au génie qu’au bon sens pour reprendre le mot de Tocqueville.
Nos glorieuses et exemplaires révolutions successives ont vidé de sens notre vie commune.
Je pense fondamentalement que les questions de patriotisme – ou de manière plus anecdotique de rapport au drapeau – sont malaisantes car ces valeurs ont été kidnappées par un régime aux options politiques douteuses.
Malheureusement pour nous, le drapeau tricolore, la fierté nationale et les hymnes nous ramènent encore (pour longtemps ?) au régime de Vichy qui en a fait un usage exacerbé, outrancier, débordant.
En quelque sorte, le gouvernement de Pétain a surinvesti ces questions de territoire, d’appartenance, de fierté et les a saturées.
On a encore beaucoup de mal à se débarasser de cette ombre portée.