J’achète environ une vingtaine de livres par an. Deux tiers sont des business books en anglais. Le dernier tiers est en français : de la fiction et des livres d’économie ou de sociologie.
J’habite Bordeaux, une de ces grandes villes françaises dans lesquelles on trouve encore ces petites librairies silencieuses, feutrées et chaleureuses telles que dépeintes par ces romans dégoulinant de démagogie et de nostalgie, romans qui ont constellé la seconde moitié du XXème siècle de la littérature.fr.
On pourrait donc imaginer que j’achète mes livres dans ces échoppes.
Et pourtant non : il n’en n’est rien. J’achète la grande majorité de tous ces livres sur Amazon (.co.uk pour les anglais, .fr pour les autres).
Pas que je soit un asocial. Quoi, pas plus que cet homme quelconque que louait Henry Miller.
C’est juste que ca m’emmerde profondément de donner de l’argent à des commerçants qui donnent ce sentiment qu’on les dérange (comme dans un grand nombre de commerces de chez nous.fr). Et qui, comme si cela ne suffisait pas, nous toisent avec ce regard condescendant, nous les incultes. Ah ! ce merveilleux élitisme culturel, que le monde entier nous envie.
Chaleureuse ? No way. Here it is : fuck them !
Révolte consommée
Pour Noël je souhaitais offrir à un ami d’enfance, remuant activiste d’extrême gauche, l’immense La Révolte Consommée. Ce bouquin est aujourd’hui introuvable. Pourtant, un libraire de ma ville (la machine à lire, pour ne pas la nommer) me garantit qu’il pouvait me le commander. Je l’ai donc commandé et y suis retourné 2 puis 3 puis 4 fois.
A chacune de mes visites, la personne (différente, “Ah non, je ne sais pas ce que mon collègue vous a dit, hein” tandis qu’elle scrute agacée son ordinateur) me garantissait me l’obtenir la semaine suivante. Au bout de la 4ème fois, j’ai donc capitulé.
J’allais me rabattre sur le Walden de Thoreau que mon pote n’a pas lu, quand la femme me houspilla parce qu’avec mon superbe Freitag Dragnet aux couleurs qui rappellent celles du FC Arsenal en bandoulière, je bousculai par inadvertance deux bouquins sur un présentoir.
Non contente de ne pas s’excuser pour m’avoir fait me déplacer pour la 4ème fois elle me lançait un “mais faites un peu attention” alors que je déplaçai deux exemplaires d’un premier roman narcissique et bidon de 80 pages d’un connard à mèche parisien. C’en était trop.
Je lui ai rendu son Walden en disant que j’irai l’acheter en ligne. Que cette échoppe ferme, je n’irai pas maudire l’internet transglobal : celui-ci ne tue pas le petit commerce mais nous débarrasse d’incapables qui nous pourrissent la vie avec une conscience professionnelle suicidaire au 21ème siècle.
Fugue en BD majeur
Du coup, comme je n’avais toujours pas de cadeaux pour mon pote, je décidai de me rabattre sur de la BD. Je me rendais donc dans un autre magasin de la vieille ville bordelaise : BD Fugue.
Problème : je ne dispose d’aucune culture BD. Et là, malgré l’intense activité de ce samedi après-midi de Décembre, je suis tombé sur un commerçant d’une douceur et d’une pédagogie infinie. Qui me demanda l’âge et les goûts de mon ami, parcouru avec mois une bonne douzaine de volumes qu’il décrit avec précision et amour et nous nous mîmes d’accord sur 2 albums que j’achetai aussitôt.
Au lieu de pleurnicher, le petit commerce culturel ferait bien de réfléchir 2 secondes à ce qu’il peut faire pour conserver sa clientèle.
Un service client, des recommandations appropriées, Amazon sait le faire sans vous regarder de haut ni vous faire revenir 4 fois.
En revanche, demander les goûts, l’âge, les intérêts d’une personne, avec intérêt, d’une voix douce et pédagogique, aucun site en ligne ne sait le faire.
Une chose est sûre : tant que j’habiterai cette ville, je n’achèterai jamais de BD sur internet.
Même expérience il y a deux semaines dans “le Vieux Rouen”.
Je rentre dans une librairie à la devanture usée, “so charming”.
Mon bonjour tournoie dans
l’air, terriblement seul, tel les rotatives d’un hélicoptère pris dans le brouillard épais de sa bourgeoise éducation, avant de s’écraser sur la barre rocheuse de l’impolitesse.
L’homme lit un journal dont il ne daigne lever les yeux.
Je furète, je musarde, je me tords les doigts de désir devant tout ce choix.
Je trouve finalement une ancienne proie qui m’avait échappée par le passé. Je fonds sur elle et l’emporte entre mes serres vers la banque où se trouve l’heureux commerçant.
Je vois le prix inscrit au crayon sur la page de garde. je me permets de le vérifier auprès du libraire qui me gratifie d’un borborygme à mi-chemin entre la gêne gastrique et le gargarisme.
Je m’acquitte.
Sa main – sans que ses yeux ne quittent les feuillets qu’il parcourt d’un air blasé – s’avance machinalement vers les espèces et les ramène vers lui d’un mouvement préhensif, petit tracto-pelle poilu.
Je pars sans un mot. Donc.
Visiblement…j’ai dérangé ce brave homme tout à sa tâche et à son amour des livres.
Je m’en veux tellement.
J’assume totalement le côté “vieux ronchon” de ce commentaire.
Mais peut-être après tout sommes-nous la proie d’un vieux cliché qui voudrait qu’un libraire aime “forcément” son métier, qu’il soit passionné et que son enthousiasme soit communicatif. Pourquoi le serait-il plus qu’un boulanger après tout…
Salut Joseph,
Mon pauvre Joseph ! Bullshit ! Ca c’est de l’intoxication culturelle. Si on ne veut pas être dérangé, on ne fait pas de commerce. Je t’invite à lire le lien sur le site BBC que j’ai mis dans l’article (http://news.bbc.co.uk/2/hi/programmes/from_our_own_correspondent/8500246.stm)
Le pire dans cette histoire c’est non seulement qu’il faut encaisser le fait d’être mal reçu mais en plus, comme toi dans cette histoire, on culpabilise. Ce n’est pas être pas un vieux ronchon que d’attendre d’être reçu poliment par un commerçant, c’est la moindre des choses.
De toute façon ce genres de commerçant est condamné et sincèrement, je ne vais pas verser une larme sur leur sort mérité.
Je préfère mille fois la froide electronique d’un marchand en ligne que l’impolitesse et la condescendance de commerçants vivants.