Troisième volet de cette série sur la transformation digitale. La première propose un éclairage sur une définition et les enjeux :
Exploiter la radicalité des capacités d’internet (temps-réel, ubiquité, multitude) pour construire et ajuster en permanence :
- une connaissance validée de la réalité du marché, aujourd’hui, afin d’élaborer les produits et services les plus adaptés pour y répondre
- une connaissance validée de la réalité de l’organisation et des processus pour livrer le plus rapidement possible ces produits et services
La seconde partie propose de présenter les 4 premiers points cardinaux de cette transformation. Cette partie en présente les 3 suivants (les 5, 6 et 7) …
- la relation client
- les produits et services
- les processus
- les outils
- le leadership
- la culture
- les équipes et le management
5. Culture : mesures, expérimentation et distanciation
Principes
Il y a mille définitions de la culture d’entreprise. Faute de mieux (« tout les modèles sont faux, certains sont utiles ») je reviens souvent vers la définition de celui qui a le premier employé le terme de Corporate Culture : Edgar Schein [EN]. Définition adoubée par Clayton Christensen ou Jeffrey Liker : nous en contenterons ici.
Un ensemble d’hypothèses fondamentales communes, construites par un groupe alors qu’il a résout ses problèmes d’adaptation externe et d’intégration interne ( … ). Le produit d’un apprentissage en commun.
1. Build
Parmi les nombreux axes de définition d’une culture, deux nous concernent tout particulièrement ici. Le premier est celui des sous-cultures d’une organisation [EN]. Schein en identifie trois : celle du dirigeant (Executive), celle de l’ingénieur (Engineer) et celle de l’Opérateur (Operator). Celle qui prévaut dans la transformation digitale est celle de l’opérateur, celle de ceux qui font, qui créent de la valeur pour le client. Nous sommes ici dans le Build, du Build, Measure, Learn. Pas celle de ceux qui font du Gantt Chart, des slides, des specs de 100 pages ou du reporting, le saint quatuor d’un éditeur de solution de bureautique qui a formaté nos organisations. A titre d’exemple, chez Google il y a 80% de développeurs (référence à retrouver, si vous l’avez : merci). On parle ici de 80% de personnes qui créent de la valeur tangible pour l’organisation à travers du code réel qui ira en production pour être utilisé par de vraies personnes en moins d’un mois. On ne parle pas de managers, d’architectes ou de chef de projet. Quel est le taux dans votre entreprise ? Dans votre DSI ?
2. Measure and Learn
Le deuxième axe décrit par Schein qui nous intéresse ici est celui de la relation à la réalité. A un premier pôle de cet axe se trouve la croyance : nous faisons ainsi car le manager l’a dit, ou parce que Bob qui est issu d’une meilleure école l’a dit. Ou parce qu’on a toujours fait ainsi. A l’autre bout du spectre sur ce même axe on trouve le pragmatisme. On procède ainsi car cela fonctionne mieux (corrélation directe avec des indicateurs) qu’en faisant ce que propose Bob ou comme on a toujours fait. Le corollaire est l’approche par l’expérimentation. Nous sommes dans le Measure and Learn. Avant de lancer ce nouveau développement de projet sur deux ans avec 20 personnes, nous allons réaliser quelques expérimentations pour nous assurer auprès des clients que nous sommes sur le bon sujet. Une culture éminemment pragmatique portée par la capacité du digital à se confronter rapidement et sur une échelle très large à une réalité indocile : des utilisateurs qui valident ou non votre hypothèse. C’est ainsi que l’on bâtit une organisation résiliente.
Radicalité en action
Il y a de nombreuses belles histoires où cette même culture mise en oeuvre a permis de résoudre une situation délicate et de valider la résilience de ces approches. La plus emblématique est celle de Chrysler, histoire de laquelle est née l’ensemble de bonnes pratiques d’ingénierie logicielle Extreme Programming. Plus près de nous, celle de la remise à flot du système HealthCare.gov, projet phare de l’administration Obama. Encore plus proche de nous, en France, le projet de la refonte du site data.gouv racontée par Henri Verdier pourfend l’ensemble de nos idées reçues sur le mode de réalisation d’un produit numérique.
Anti Pattern
Culture de l’ingénieur et de l’abstraction, incarnée particulièrement dans les DSIs par le métier d’architectes. Je ne veux pas jeter l’opprobre sur un métier respectable, j’ai moi aussi été séduit par l’abstraction que propose les frameworks Java Entreprise avant de réaliser le coût de cette complexité inutile et peu performante. Culture du contrôle (nombre de managers et de chefs de projet et peu de développeurs / testeurs / concepteurs /Ergonomes / exploitant). Culture de la croyance où le manager, Bob le diplômé de la meilleure école ou la façon habituelle de faire ne sont jamais remis en cause, quelques soient les chiffres.
Benchmark
Quel est votre pourcentage encadrant / réalisateurs ? La réalisation est-elle internalisée ou sous-traitée ? Lorsqu’un problème se présente, se concentre-t-on sur la situation ou sur les personnes ? Quelle est alors la première question posée : qui ou pourquoi ? Comment vos processus sont-ils améliorés ? Quels sont les bases de décisions importantes ? Comment utilisez vous l’expérimentation pour améliorer vos produits ? Vos processus ? Vos produits sont-ils meilleurs ? Et vos processus ? Comment le savez vous ? Quelle est la donnée objective qui vous permet de vous en assurer ?
6. Leadership : simple et clair
Principe
La mission du dirigeant de l’entreprise numérique se résume en trois points : clarté, terrain et support.
Dans un marché éminemment complexe en raison de la démultiplication des acteurs, des règles, de la mondialisation, et, bien entendu par les nombreuses technologies de rupture liées au digital, il est plus que jamais nécessaire pour les dirigeants d’apporter une vision simple et simple. C’est cette vision même qui va permettre à chacun et chacune des employés de prendre la bonne décision dans les multiples choix auxquels il ou elle sera confrontée chaque jour. On n’aura de cesse de revenir à cette magnifique citation de Dee Ward Hock le CEO de Visa :
« Une raison d’être et des principes simples et clairs font émerger un comportement intelligent et complexe. Des réglementations complexes font émerger un comportement simple et stupide »
Le deuxième point est, là encore, celui de la confrontation avec la réalité, en l’occurence celle du numérique et du terrain. Comme toute grande initiative de transformation, si le dirigeant ne l’a prend pas en main, la sous-traite à des consultants et ne montre l’exemple en utilisant ces outils, la transformation restera lettre morte. Cela passe aussi par une pratique de dirigeant consistant à se rendre sur le terrain pour constater au plus près de là où se crée la valeur, comment se décline ses visions et stratégies, dans l’espace numérique. L’objectif est aussi de comprendre les obstacles qui empêchent ses équipes de réussir. Dans le lean, cette pratique vertueuse se nomme le Go & See ou le Gemba.
Enfin, dans un environnement en mutation dans lequel ses équipes expérimentent en permanence, le dirigeant doit mettre en place un contexte sécurisé dans lequel l’erreur n’est pas stigmatisée.
Radicalité en action
Jeff Bezos présentant sa vision aux employés de Zappos. Tony Hsieh le dirigeant de Zappo offrant 2000$ aux personnes en période d’essai pour partir si elles ne sont pas à l’aise avec l’obsession du client de l’entreprise.
Vineet Nayar qui prend pour principe Employee First Customer Second et qui passe 7 heures par semaine à répondre aux questions de ses employés. Celui que je préfère car il n’est pas virtuel est celui des dirigeants Lean pour qui la pratique du Gemba et le motto de Fujio Cho (Go & See, Ask Why, Show Respect) sont la première des priorités. Voir à ce titre l’exemple de l’admirable de Art Byrne.
Anti-pattern
Des stratégies compliquées ; penser que la complexité ne se traite qu’avec une sur-complication, hypothèse largement réfutée par Yves Morveux du BCG. Ou encore penser que la complexité à comprendre donnera un avantage stratégique alors que Pfeiffer et Sutton ou Jim Womack ont montré que c’est ce qui est difficile à réaliser et pas ce qui est difficile à comprendre qui apporte un avantage concurrentiel.
Benchmark
Etes vous capable d’exprimer la vision de votre entreprise en une phrase et moins de 10 mots ? Cette vision est-elle partagée ? Avez-vous fait un tour des bureaux pour vous assurer qu’elle l’était ? Comment cette vision est-elle intégrée dans les activités de vos équipes ? La voyez-vous à l’oeuvre sur le terrain ? Comment ?
Allez vous sur le terrain constater comment se décline votre vision là on se crée la valeur ? Quels sont les obstacles que vous avez constatés ? Dans quelle mesure l’organisation que vous avez mise en place représente un contexte favorable à l’expérimentation ? Que se passe-t-il lorsque des problèmes sont rencontrés ?
7. Equipes : autonomes et mises en condition de réussir
Principes
Avec la digitalisation, les équipes sont rapprochées des clients grâce au flux tiré : elles ne produisent que ce que le client attend, quand il l’attend. Elles disposent d’une autonomie libératrice et indispensable pour améliorer leurs processus et atteindre cet objectif : les conditions de la collaboration sont enfin réunies. Elles sont guidées par des objectifs stratégiques sans ambigüité et disposent d’une vision claire de leur rôle dans la chaîne de création de valeur. Enfin elles ont une compréhension claire, chiffrée et partagée de leur challenge : elles sont mises en condition de réussir. Les itérations rapides et le processus de bout en bout par petits lots permettent une amélioration et un apprentissage permanent, apprentissage indispensable pour survivre dans un monde incertain.
Comme le rappellent Erik Brynjolfsson et Andrew McAfee dans The Second Machine Age, l’enjeu de l’exploitation des radicalités de nouvelles technologies est avant tout un enjeu de management. C’est dans l’autonomisation des équipes que réside le défi majeur de la transformation digitale. C’est sur ce point précis que se jouera le succès ou l’échec des initiatives qui seront menées : les équipes y ont tout à gagner.
Radicalité en action
La stratégie de Google (que Google ), pour vendre le management à ses ingénieurs [EN].
Anti-pattern
Le management Command & Control. Des managers qui imposent leurs décisions. Des équipes auxquelles on impose le processus de travail. Des points de blocage des équipes (équipements, support laborieux …) qui ne sont pas traités par l’organisation. Des managers dont le développement de leurs employés ne représentent pas la priorité.
Benchmark
Vos équipes ont-elles la possibilité d’améliorer leur processus ? Comment le savez vous ? Pouvez vous citer 3 exemples d’améliorations significatives des processus de vos équipes ? Savent-elles clairement et de façon chiffrée ce qu’elle doivent réussir ? Les équipes Support sont-elles vraiment au service de vos équipes qui produisent de la valeur ? Leur Imposent-elles des attentes ?
Quel est le pourcentage de temps que vos managers consacrent au reporting ? Et au développement de leurs équipes, aux échanges en tête à tête? Pouvez vous citer un exemple ou des collaboration transverses (une personne d’une équipe dan un département donné a contribué avec une autre personne d’un équipe dans une autre division) ont permis de résoudre des problèmes, le tout sans passer par l’intermédiaire des managers ? Comment se passe l’affectation des tâches dans vos équipes ? Comment mesurez vous le développement des personnes de vos équipes sur les compétences clef ?
Votre estimation
Comment vous positionnez-vous sur les différents sujets ? Quels sont ceux auxquels vous allez donner la priorité ? Quelles sont les questions que vous vous posez, et qui bloquent votre avancée sur ce sujet ?
Dans le prochain billet de cette série nous traiterons d’un sujet douloureux : le pilotage de projets à l’ère du numérique.
Cet article est extrait de l’ouvrage #hyperlean – ce que signifie l’avènement du numérique
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