Le Livre
Bon je vous l’avoue tout de suite : je suis incapable de la moindre objectivité à l’endroit de Yasmina Reza. Depuis son passage chez Denisot en 95 pour la sortie d’Art je suis éperdu : belle, intelligente, mystérieuse, elle incarne à la perfection le métissage capiteux de la sagesse feminine orientale et de l’intellectualisme européen.
J’ai trouvé ça un peu opportuniste mais quand même relax qu’elle écrive ce livre sur qui vous savez. Je ne l’ai pas lu : juste la chronique de Philippe Lançon et son habituelle flamboyance perfide :
Finalement, Reza est l’écrivain qu’il fallait à ce président-là : sèche, «burnée», teigneuse, dure à tout par principe, sans doute ni subtilité aucune, courte sur phrases comme il l’est sur pattes
Où l’on sent l’âpre tristesse du grand artificier de la condescendance, lorsque, noyé dans la jungle, il en devient l’objet
Le livre est la mise en scène explicite d’une rencontre au sommet : toi Nicolas, moi Yasmina, et la jungle à nos pieds.
Elle en parlait ce matin chez N. Demorand sur France Inter, une emission de qualité quoique très orientée. Elle régla tout de suite le problème de l’hystérie médiatique autour de son livre en la renvoyant aux média eux-mêmes et niant une quelconque orchestration maléfique de son éditrice :
“Quand bien même aurait-elle souhaité obtenir toute cette couverture médiatique ne l’aurait-elle pu : vous savez bien mieux que moi que l’on ne peut pas orchestrer les media. Vous même (à Demorand) m’avez présentée comme celle qui a réussi le coup littéraire de cette rentrée.”.
Le président
S’ensuit une série de questions des auditeurs. L’inévitable sur la fameuse et cavalière phrase du candidat au sujet de la Bretagne, bien sûr. Celle aussi au sujet du contrôle exercé par le chef de l’état sur le contenu du livre, et l’immense déception que fait naître la réponse de l’écrivain : “aucune, évidemment”.
Une dernière, bien plus interessante, au sujet de l’appartenance de Reza au monde culturel Parisien, et le sentiment de cette dernière sur “le politiquement correct de ce milieu qui consiste à être résolument anti-celui-dont-je-tairai-le-nom”. Elle avoue :
“Lorsque j’ai vu la réaction de mes amis alors que j’annonçait la nature de mon projet, j’ai eu le sentiment que j’annonçait une collaboration avec Hitler. Mais ce n’est pas Hitler. Un homme de droite qui s’assume certes mais pas Hitler“.
Cette diabolisation, qui a duré toute la campagne avec le succès que l’on sait (rires) est en droite ligne avec la stratégie d’une équipe (parti + electeurs) qui perd avec une grande régularité les elections présidentielles. Dont celle de 2002 pour laquelle elle partait grandement favorite, défaite que je mets sans la moindre hésitation sur le dos de l’irresponsabilité des seconds, mais déjà je m’égare.
Le vide
Cette systématique diabolisation, encore, se ramifie en indignation à l’endroit de la “trahison des collabos“. Que l’on traite ainsi ceux qui participent au gouvernement pourrait éventuellement se comprendre (même si j’ai un faible pour l’utopisme Blairiste de Bockel).
Mais pour des personnalités qui prennent en charge des missions d’étude je trouve cela vraiment médiocre et malhonnête. Jacques Attali n’a jamais été inscrit à aucun parti et a fait preuve d’un extraordinaire sens de l’humour en amenant un psychanaliste au chevet de la croissance française. Michel Rocard et ses 572 ans de Parti me semble quant à lui d’une loyauté socialiste au delà de tout soupçon.
Invité lui aussi chez Demorand la semaine précédente, ce dernier regrettait “l’absence intellectuelle de mon parti” et donnait quelques pistes sur le vide stratégique du PS :
Aujourd’hui, dans cet océan de médiocrité, lors du Congrès du Mans, pour la première fois depuis un siècle la motion majoritaire et deux motions très minoritaires, qui s’accordent sur le refus de la rupture, obtiennent 57% des voix. La social-démocratie européenne est alors acceptée. Mais le massacre vient de François Hollande qui impose la synthèse et conduit sa propre majorité à rédiger un projet à l’unanimité. La cohérence intellectuelle du programme disparaît.
Le livre, le président et le vide
Lorsque l’on entend Mélenchon et ses positions néanderthaliennes dépourvues de dignité, lorsque l’on voit la haute tenue des grands questionnements socio-politiques de l’organe officiel (“La gauche vire-t-elle à droite ?”), on se dit que celui dont on est fatigué d’entendre le nom n’a pas besoin d’historiographe, fut-elle aussi belle et peu complaisante que Yasmina Reza : seul face au vide, il lui reste de beaux jours devant lui. D’autant qu’il est déjà entré dans l’histoire.
Bonsoir Cecil !
C’est Juléjim via le BBB. Bravo, très bon texte, belle analyse.
Je préfère mille fois ceci à votre remarque en forme d’admonestation, sur le BBB, pour que l’on ne prononce plus l’imprononçable. Pardonnez la vivacité de ma réaction là-bas mais j’ai écrit avant de venir vous lire ici.
Cordialement.
J&J
Salut JJ,
Merci pour votre commentaire. pas de soucis : soyons vifs, soyons enthousiastes !
Je demeure toutefois persuadé que ces gesticulations intellectuelles incessantes, centrées sur sa personne, le servent bien plus qu’elles ne le desservent.
Il sera interessant de suivre le forum politique de libé pour voir si ce probleme est adressé.
Bon il semblerait que ca bouge un peu, que ce ne soit pas aussi désesperément vide.
Le forum organisé par Libération est suffisament éloigné d’écheances electorales : il peut se recentrer sur les idées et les débats.
Cessons pour une fois de moquer l’organe officiel et saluons l’initiative car enfin, comme un vrai soulagement, la rhétorique peut alors s’éloigner des schémas caricaturaux, binaires et démagogues pour fournir une vraie réflexion, nuancée et progressiste.
Ainsi pouvons nous y lire Laurent Baumel (Responsable national du secteur études au Parti socialiste) :
“Refuser de réformer la protection sociale pour tenir compte de l’allongement de la durée de la vie est, par exemple, aujourd’hui plus une marque de cécité que d’appartenance à la gauche. (…) La gauche conserve son rapport critique fondateur au capitalisme. Mais elle doit en finir avec le «surmoi marxiste» et assumer clairement le «compromis» nécessaire. Cessant de considérer les entrepreneurs comme des exploitants, une gauche moderne se place du côté du risque contre la rente. Acceptant un système où les inégalités de revenus renaissent en permanence, elle fait de l’égalité des chances et de la lutte contre la «reproduction sociale» dénoncée par Bourdieu sa nouvelle frontière”
Pour ce qui est des attentes du peuple de gauche, une très instructive conclusion de François Miquet Marty :
“Les sympathisants de gauche escomptent une profonde mutation des habitudes de leur camp, héritées du XXe siècle. Ils souhaitent une répudiation des concurrences doctrinales au profit de propositions concrètes en réponse à leurs problèmes. Ils aspirent, fondamentalement, à un pragmatisme politique.”
Tout cela ici : http://www.liberation.fr/actualite/politiques/vive_la_politique/debats_vendredi/278309.FR.php
Il faudrait faire lire cela à notre bon Yannick G.
Ne manquez pas non plus le blog de Versac live from the forum (http://vivelapolitique.blogs.liberation.fr/versac)
“Bon il semblerait que ça bouge un peu, que ce ne soit pas aussi désespérément vide.
Le forum organisé par Libération est suffisamment éloigné d’échéances électorales : il peut se recentrer sur les idées et les débats.”
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C’est sans doute le syndrome de la piscine : on coule, on touche le fond et hop ! c’est la remontée vers la surface. Et là tout redevient possible.
Je ne suis ni encarté, ni sympathisant inconditionnel mais entendre dire “le PS n’a pas/plus d’idées” c’est quand même très désobligeant pour celles et ceux qui y militent. Il y a à l’évidence de sacrés pointures dans ce Parti !
L’initiative de Libé me paraît une excellente chose, pour l’avenir de la gauche (du moins son réveil)et pour le renouveau de la Politique.
@+ J&J
Bonjour Ceciiil,
Concernant Mme Reza, je la trouve un tantinet hypocrite quand à sa position relative au barouf médiatique entourant la sortie de son livre. Lorsque son éditrice n’en donne que qelques bonnes feuilles et ce uniquement au nouvel obs juste avant la sortie de son livre et qu’elle même ne donne des interview qu’au compte goutte……Alors lorsqu’elle dit, je cite “Quand bien même aurait-elle souhaité obtenir toute cette couverture médiatique ne l’aurait-elle pu : vous savez bien mieux que moi que l’on ne peut pas orchestrer les media”, on ne peut certes pas “orchestrer les media”, mais on peut influer et exciter leur curiosité, notamment sur un sujet (ou devrais je plutôt dire un monarque ? je plaisante) aussi polémique. J’ai beaucoup de mal à croire qu’un plan média ne fut pas prévu par son éditrice.
Bon week end à toutes et à tous
Je viens de lire votre lien si gentiment dédicacé pour ma personne, et je peux vous dire que je n’en veux pas de cette gauche là, mais je ne suis pas un peuple, fût-il de gauche, je ne suis que moi-même.
Enfin, il n’est pas nécessaire de faire de Sarkozy un Hitler (même par impression)ou une diable pour désapprouver sa politique, et ne pas y participer, c’est un homme de droite d’aujourd’hui, c’est largement suffisant pour ne pas que je m’en fasse un ami ou que je lise un livre sur lui.
yG
Bonjour Kabale, merci de votre commmentaire, c’est toujours un plaisir de vous lire.
Yasmina Reza écrit un livre sur l’homme le plus médiatisé de France depuis Napoléon et elle serait opportuniste ? qu’allez vous donc chercher là ? D’ailleurs elle s’en défend avec ce détachement bouleversant : je suis éperdu et je manque d’objectivité semble-t-il. (oui : elles ont établi une stratégie de communication efficace, mais la plus efficace reste le sujet du livre).
Mon Cher Yannick,
Je me doute bien que vous ne voulez pas de cette gauche là même si c’est une joie de vous revoir ici.
J’ai été ébloui par le texte de Baumel. “En finir avec le surmoi marxiste”. Quelle merveilleuse expression, si belle et si juste ! J’ai failli en faire un billet à part entière et puis non : je ne voulais pas contaminer tout le blog avec ce sujet.
“Cessant de considérer les entrepreneurs comme des exploitants” : cela va prendre du temps à éduquer notre peuple de gauche : cela releve de l’abreaction.
Je crains Yannick qu’il ne vous faille bien accepter la réalité. Il y a aujourd’hui 2 mouvances principales à gauche : une sociale-democrate de centre gauche (majoritaire au PS comme le rappellait Rocard et au Modem) et une anti-libérale, contestataire, qui va de Mélenchon à Besancenot et qui va pouvoir recruter au FN avec le délitement de ce dernier.
A mon sens la première est plus en prise avec la réalité, est plus à même de gouverner et donc à éviter à ce que d’autres gouvernent.
Le seconde est une mouvance contestataire qui a pour objet la lutte, le conflit. J’ai d’ailleurs ce sentiment profond qu’elle est ontologiquement bien plus contestataire qu’elle n’est de gauche. Nous sommes là dans la grande tradition revolutionnaire, romantique et théorique avec ce que je ressens intimement comme un terrorisme intellectuel et idéologique. Mon sentiment : planant au dessus du réel, elle n’a que la démagogie comme horizon.