Recrutement 2.0 : état des lieux avec Aurélie Girard et Franck La Pinta

Dans le cadre des Chaires du Numériques, je suis intervenu dans une conférence organisée par les étudiants de l‘Institut des Sciences de l’Information et de la Communication (ISIC). Le sujet principal était le recrutement à l’ère du numérique.

Avant toute chose j’ai été particulièrement impressionné par le crew de Stratejic qui animait le débat : Eliot Jacquin et Julien Daubert. Des jeunes gens dynamiques qui ont complètement intégré les enjeux de l’entreprise et d’authentiques digital natives, très à l’aise avec les outils numériques (cf leur blog action miroir).

Le coeur de leur questionnement gravitant autour des problèmes de l’utilisation des réseaux sociaux dans les procédures de recrutement (i.e le recrutement 2.0) et n’étant pas pointu dans le domaine,  j’ai sollicité des références françaises sur le sujet : Aurélie Girard et Franck La Pinta. Tout deux, rencontrés sur des réseaux sociaux, ont eu la gentillesse de répondre à ces questions malgré le peu de temps dont ils disposaient. En effet, ces questions leur ont été adressées la veille de la conférence : une preuve, si c’était encore nécessaire, de l’efficacité des réseaux pour localiser des experts et obtenir rapidement des réponses pertinentes à des questions précises.

Deux spécialistes reconnus par la communauté ; une doctorante et un acteur majeur dans une grande entreprise : une dream team des RH2.0 dont je me suis fait le messager durant cette conférence avec des réponses, souvent convergentes, qui ont comblé nos étudiants …

Aurélie, Franck, merci de votre disponibilité. Pouvez vous vous présenter  ?

Aurélie  Girard : Je  suis  actuellement  en  thèse  de  doctorat  à  l’Université  Montpellier  2.  Mon  sujet  d’étude  concerne l’utilisation  des  Réseaux  Sociaux  Numériques  (RSN)  dans  le  cadre  du  recrutement  et  de  la  marque employeur.  Je  m’intéresse  notamment  aux  raisons  qui  poussent  les  recruteurs  à  aller  vers  ce  type d’outils, aux différentes pratiques développées, à l’évolution du métier et à la relation candidat. Je suis en train de réaliser des études de cas auprès de cabinets de recrutement et d’entreprises pionnières en  la  matière  afin  d’obtenir  une  vision  globale  et  riche  du  phénomène  grâce  aux  expériences  de chacun. En  parallèle,  je  donne  des  cours  en  Marketing  à  l’IUT  de  Montpellier,  ainsi  qu’en  Systèmes d’Information et en e-GRH à l’IAE de Montpellier.

Franck La Pinta : Je suis Responsable Marketing Web et RH 2.0 à la Direction des Ressources Humaines du Groupe Société Générale. Ma mission est de développer l’attractivité de la Marque Société Générale en m’appuyant notamment sur les médias numériques et sociaux. J’ai ainsi travaillé dès 2008 sur le positionnement RH 2.0 du Groupe au travers de la présence développée sur Twitter, Viadéo, LinkedIn et Facebook, ou encore du blog de la Mission Handicap, de la Web TV Careers.Socgen.tv. Vis-à-vis de l’interne, ce marketing RH passe notamment par une évolution progressive vers l’entreprise 2.0 : je suis par exemple à l’initiative du réseau social interne destiné aux 2800 professionnels RH du Groupe, et dont les premières expérimentations ont été lancées au printemps 2008.

Quel site internet le recruteur consulte t-il lors d’un e-recrutement ? (viadeo – facebook – monster ?…)

Franck : les recruteurs vont traditionnellement consulter les jobboards comme Monster car ils font partie du paysage « recrutement » depuis de nombreuses années, et que ces sites sont devenus de véritables plates-formes de services, pour les candidats comme pour les recruteurs. Mais les recruteurs disposent à présent de nouveaux outils que sont les réseaux professionnels comme Linkedin ou Viadeo, utilisés par exemple pour diffuser des offres d’emploi, présenter les politiques RH ou pour consulter ces bases de CV. N’oublions pas que l’APEC et Viadeo ont signé un accord en fin d’année dernière : preuve que les modèles sont en train de changer pour répondre aux nouveaux comportements des candidats.

Aurélie : Un recruteur peut consulter plusieurs types de sites internet lors d’un processus de recrutement. D’abord, les sites emplois, (Monster , Regionsjob, mais aussi l’Anpe, l’Apec) ; ensuite, son propre site « corporate » (où il poste ses annonces, collecte les candidatures et crée ainsi sa propre CVthèque interne) ; puis les réseaux sociaux numériques professionnels (Viadeo, Linkedin) mais aussi Facebook, Twitter pour communiquer. Enfin, les blogs et les forums spécialisés (plus rare).

Pourquoi le numérique prend t-il une part aussi importante dans les candidatures ?

Franck : Le numérique s’est progressivement installé au sein des services recrutement pour optimiser la gestion et la sélection des volumes croissants de candidatures. Aujourd’hui, ces outils de gestion de candidature permettent de poster les offres sur plusieurs sites, d’effectuer des tris et des requêtes dans les candidatures afin de détecter les compétences ou qualifications recherchés pour un poste donné. De leur côté, les candidats ont également privilégié la candidature électronique car elle est à la fois plus économique et plus facile que la candidature papier. Finalement, la pression conjointe des candidats et des entreprises a déporté le marché du recrutement de la presse (qui était un intermédiaire incontournable et qui est aujourd’hui marginal) vers les jobboards. Et aujourd’hui de nouveaux acteurs émergent avec leur propre modèle économique et de nouveaux avantages : les réseaux sociaux.

Aurélie : Un gain en termes de couts, rapidité de diffusion et de traitement, plus grande visibilité, meilleure gestion et meilleur suivi des candidatures…Internet a permis tout cela. Aujourd’hui plus de 90% des offres d’emploi donnent lieu à une annonce sur Internet.  Les candidatures et les annonces « papiers » se font de plus en plus rares.

Qu’est ce qui fait qu’un profil de candidat en ligne est bon ou n’est pas adéquat ?

Aurélie: Difficile de dire ce qui est bien et ce qui ne l’est pas, cela dépend du contexte. Le profil d’un candidat en ligne doit avant tout contenir des informations professionnelles (compétences, formations, expériences). En général il n’est pas nécessaire d’indiquer, tout comme sur un CV d’ailleurs, votre situation familiale, votre adresse postale… Un profil en ligne a l’avantage d’être vivant, interactif. Vous pouvez joindre vos réalisations, vos présentations, des documents (par ex. avec doyoubuzz, mais également avec viadeo ou linkedin, ou en créant votre propre site). L’objectif est d’être visible, de mettre en avant vos compétences et votre objectif professionnel.

Franck : Que le profil soit en ligne ou pas ne change rien à sa qualité intrinsèque. Les recruteurs ont toujours des critères indispensables et secondaires. Ils vont juger sur papier puis sur entretien de la bonne adéquation entre le candidat et les missions qui sont proposées. Attention cependant à ce que les différents profils d’un même candidat ( par ex. sur LinkedIn et Viadéo), soit cohérents et surtout, règle première, qu’il soit conforme à la réalité !

Selon vous, est-ce une obligation d’être visible sur la toile ?

Aurélie : Ce n’est pas une obligation, du moins pour l’instant. Encore une fois tout dépend du poste. Si un responsable marketing ou communication n’a pas de profil en ligne, cela peut paraître douteux. Le fait pour un commercial d’avoir un réseau important sur Viadeo ou Linkedin peut constituer un atout. De plus en plus de postes nécessitent une certaine connaissance d’internet et des réseaux sociaux numériques. Toutefois, être visible pour être visible n’a pas de sens. Votre démarche doit être construite et réfléchie.

Franck : Ce n’est aujourd’hui pas une obligation mais cela va le devenir très vite.  Ca l’est déjà pour certains métiers je pense à l’informatique, le marketing, la communication. Dès que l’on est en concurrence avec d’autres candidats, on doit trouver les moyens pour se mettre en valeur. Le CV seul est un peu sec. Dans les RHs, nous allons voir les profils LinkedIn et Viadeo qui agrègent des informations annexes sur le candidat : on peut y voir ses présentations, son blog, des chroniques de livres etc … Par exemple, si j’ai 2 candidats pour un poste , à CV équivalent, si l’un anime un blog, qu’il participe à des discussions professionnelles sur LinkedIn, ma préférence ira plutôt vers celui qui est parvenu à valoriser son expertise par une réelle activité on-line. L’expertise de ce candidat est plus facilement vérifiable alors que celle du seconde n’est que déclarative.

Quelle est la différence entre Viadeo et LinkedIn ? Faut-il être sur les deux ?

Franck : Initialement, LinkedIn était plus international et Viadeo mieux ancré dans le tissu économique et industriel français. Cela évolue un peu aujourd’hui avec la mise en place de l’interface française de LinkedIn et les efforts de développement internationaux de Viadeo. Mais la question à se poser est plutôt : y-a-t-il une raison pour en avoir qu’un seul ? Où se trouvent les recruteurs potentiels ? les experts du secteur ou les entreprises qui m’intéressent ? Je dirais que non : en tant que candidat, on a plutôt intérêt à exister sur les deux.

Comment éviter les sites du type 123people ?

Franck : La bonne question n’est pas tant comment les éviter mais plutôt comment mieux les utiliser en gérant intelligemment sa réputation électronique. Comment être bien visible et s’assurer qu’il n’y a pas n’importe quoi publié en son nom sur le net. Il est important de bien gérer la frontière entre sa personnalité privée sur Facebook (en prenant soin de bien configurer les droits d’accès de son profil) et en gérant bien la dimension professionnelle sur les sites pro (LinkedIn, Viadeo, etc …)

Aurélie : 123people vous propose désormais des solutions, ou du moins des pistes de solutions, pour supprimer les liens qui vous déplaisent  (http://www.123people.fr/page/reputation) : a) Contactez la source d’origine b) Les contacter directement c) En dernier recours, faire appel à des services professionnels

Quel est le véritable intérêt de ces nouveaux réseaux en ligne pour un candidat junior ?

Franck : l’intérêt est d’enrichir sa visibilité pour se montrer sous un jour plus riche que ce que l’on voit sur un CV. Tout le monde n’est pas capable de tenir un blog. Toutefois, il y a des phases intermédiaires (questions sur LinkedIn / Viadeo, Commentaires dans les blogs). On peut aussi identifier l’eco-système des personnes qui travaillent sur le même sujet (relais, contact). Et intervenir pour se faire reconnaitre et se faire assimiler à cette communauté.

Aurélie : Le véritable intérêt c’est d’établir (et maintenir) des relations, d’échanger, d’interagir avec d’autres candidats, avec des professionnels de votre secteur, avec des managers travaillant dans l’entreprise que vous visez, avec des professionnels RH… et ce sur le long terme, avant même le début d’un processus de recrutement.

Comment peut-on arriver à créer du contenu sur soi sur l’internet alors que nous sommes jeunes et que nous n’avons pas encore vécus beaucoup de choses ?

Aurélie : Il est tout à fait possible de créer du contenu, ne serait-ce qu’en ayant un profil, un cv en ligne. Les réseaux sociaux professionnels sont bien référencés par Google. Les sites type Doyoubuzz également. Cela permet déjà de se constituer une première identité numérique. Ensuite n’hésitez pas à participer à des groupes, à poser des questions, suivre des gens de votre domaine sur Twitter par exemple… N’attendez pas de chercher un emploi pour être actif. Il faut savoir échanger, donner, participer pour se faire remarquer et recevoir plus tard.

Franck : Il y a des choses : les jeunes peuvent commencer à construire leur réseau : stages, professionnels rencontrés lors de conférence, ou d’un salon, à l’occasion des forums écoles ou lorsque des professionnels interviennent dans votre école. Créer du contenu ne signifie pas nécessairement tenir un blog. Encore une fois, les réseaux sociaux pro vous permettent d’identifier des communautés d’experts et de participer à des discussions en maitrisant l’investissement que vous voulez y consacrer. On est expert en devenir, on a le droit d’exprimer ses positions. Analyse de campagnes, chroniques de livre sur notre sujet, analyses de ce qui se passe au niveau de l’industrie que l’on vise ou du sujet qui nous passionne. L’important est de montrer qu’il y a une réflexion, un esprit de synthèse, un sens de l’analyse.

Quels seraient les 3 conseils que vous donneriez à un étudiant pour sa recherche d’emploi en ligne ?

Franck : 1. Le plus important est à mon sens de commencer à développer sa présence sur le net avant même d’être en recherche active. Il faut se constituer un réseau suffisamment solide avant de vouloir le solliciter. 2. Identifier les communautés d’experts des sujets qui vous intéressent et tâcher de s’intégrer à cette communauté pour développer le réseau, les compétences et la visibilité sur le sujet. 3. Choisir le périmètre du sujet sur lequel on veut s’exprimer et on veut être reconnu. L’objectif étant d’être associé à cette compétence, et de concentrer vos efforts sur cette compétence pour être recruté demain.

Aurélie : D’abord être Multicanal : Mobiliser tous les canaux qui sont à votre portée : sites emplois, site corporate, réseaux sociaux numériques… Ensuite être vigilant avec sa réputation numérique : faire attention aux informations qui apparaissent lors d’une recherche google, utiliser les paramètres de confidentialité sur Facebook par exemple. Enfin être actif et donner pour recevoir : mettre en avant son expertise, son intérêt pour le métier, avant de mettre en avant votre recherche d’emploi, soyez curieux.

Franck, Aurélie : de la part des étudiant de l’ISIC de Bordeaux 3 et de #hypertextual : mille mercis !

7 Comments

  1. Merci pour votre participation et de vos réponses sur le récrutements 2.0.
    Une des remarques qui a découlé de nos échanges est qu’il existe dans nos formations universitaires, un manque certain d’apprentissage des procédures RH 2.0. Cecil, vous souligniez la nécessité que nous (étudiants) nous approprions nous-même ces thématiques. Ce débat est un premier pas dans ce sens. Même des “digital natives” ont parfois besoin de coups de pouces d’experts 😉

  2. Jonas,

    Merci pour ton commentaire (STP on peut se tutoyer ?).

    Je t’invite à regarder cette vidéo de Jason Fried, ton sosie donc :

    Tes questions étaient tout à fait pertinentes et dans l’esprit Entreprise 2.0. Je t’invite à aller voir le blog de 37Signals (la start-up de Jason Fried) : http://37signals.com/svn.

  3. Ce fut un plaisir de partager cette fin de matinée ensemble. C’était notre première expérience de table ronde en tant que Junior Création et en tant que bloggeur : espérons que ça continue !
    L’idée de croiser le regard étudiant avec celui du professionnel autour d’une interview est très intéressante, nous comptons relayer ton article sur notre site si tu es ok ? 

    @Jonas : pour les formations, l’équipe d’actionmiroir.com organisera des ateliers numériques à l’université à destination des étudiants en janvier : tu es le bienvenue !!! Je te communique les dates par mail dès que je les ai.
    #37Signals : ils ont développé Highrise, nous l’utilisons pour gérer nos contacts – listing newsletter : excellent. http://highrisehq.com/

  4. Bonjour Julien,

    Merci pour votre commentaire. Pas de soucis pour la publication de l’article sur votre blog. Merci de mettre un lien vers Hypertextual …

  5. Cecil, je ne suis pas tout à fait convaincu sur ma ressemblance avec jason Fried ^^ mais bon c’est toujours mieux que Justin Timberlake mon sosie selon certaines stratejiciennes 😉
    Sinon, extrêmement intéressante cette vidéo. Je vais me pencher un peu plus intensivement sur la question pour un travail de recherche. Je te contacte par mail pour quelques questions, notamment bibliographique, tu auras surement de nombreux ouvrages à me conseiller.

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