(Ce texte est extrait de l’ouvrage #hyperchange – petit guide de la conduite du changement dans l’économie de la connaissance).
Je suis parfois un conducteur étourdi et/ou impatient et, ayant perdu quelques points sur mon permis (feux rouges …), je suis allé faire un stage de récupération de ces points.
Il s’agit d’une expérience sociologique enrichissante car nous, citoyens, n’avons plus très souvent l’habitude d’échanger avec des gens de tout horizon socio-culturel autour d’un sujet commun.
Une expérience surtout extrêmement instructive pour ce qui est de la gestion du changement avec deux animatrices confrontées à des conducteurs (la majorité de l’assistance est évidement masculine) un peu bornés dont les valeurs personnelles sont à l’opposée de ce qui est enseigné.
Deux animatrices, par ailleurs, aux profils et approches complètement opposées qui provoquent deux réactions différentes d’une même assistance. La première suscite le blocage et devient inaudible et la seconde inspire l’écoute active et quelques changements d’attitude …
Profil #1 : la didactique qui s’appuie sur des chiffres
La première animatrice a une approche théorique et didactique. Elle a déja catégorisé l’audience en chauffards sous l’emprise de la testostérone. Elle écoute peu, parle vite, sur un ton cassant et définitif sans laisser la place à l’audience pour intervenir ou commenter.
Les chiffres qu’elle communique sont accablants (77% des tués sur la route le sont lors de leur premier accident : la certitude acquise par un passif vierge est un risque majeur) ou montrent sans ambigüités que nous sommes bien sur la bon chemin : nous sommes ainsi passés de 16.000 morts sur la route avec un parc de 16 millions de véhicules en 1972 à moins de 4000 morts en 2011 avec un parc automobile qui a doublé.
Reste que cette animatrice est inaudible pour ceux qui n’ont pas envie d’entendre. En raison de son ton péremptoire et du fait qu’elle a déja catégorisé les chauffeurs, une partie de l’audience décroche. Certains lisent le journal, d’autres leurs messages sur leur smart-phones. Certains expriment même des bouffées d’animosité.
Par ailleurs, elle parle beaucoup d’elle et de ses propres expériences, ce qui éloigne encore davantage le public qui s’en moque éperdument. Enfin elle évoque la gestion du changement et la réticence qu’elle constate à une assitance médusée.
Clairement, en termes de gestion du changement c’est un échec.
Profil #2 : la participative qui raconte des histoires
La seconde intervenante a un profil plus scientifique et est néanmoins bien plus habile dans sa gestion d’une audience particulièrement revêche.
En premier lieu, elle sollicite sans cesse celle-ci en posant des questions, souvent simples, auxquelles les personnes répondent juste. Elle insiste sur le fait que la personne a complètement raison (en la nommant – elle choisit souvent parmi le public le plus négatif) et peut ainsi continuer à tenir son discours.
Elle sollicite l’expertise sur un sujet périphérique. Ainsi elle demande à un garagiste de l’assitance comment gérer la pression des pneumatiques (pour information : tous les 1000 kms si vous avez des pneus tubeless) : elle “achète” ainsi l’attention inconditionnelle du stagiaire qui, étant intervenu, se sent complètement impliqué dans la session.
Enfin, ce même public réticent, bruyant et défiant lors du discours rapide, cassant et basé sur les chiffres de la première assistante, devient silencieux, concentré et extrêmement attentif lorsque cette seconde assistante raconte des études de cas sur les accidents mortels.
En prenant prend bien soin de donner le contexte personnel des victimes elle passe de la statistique (des nombres) à des personnes avec leur histoire et leur contexte familial. Ainsi ce couple qui vient voir son fils qui débute sa carrière d’instituteur, ce père de famille motard qui a bu un tout petit peu trop et qui est complètement responsable lorsqu’une voiture lui coupe la route etc …
En racontant ces cas à travers des personnages auxquels on peut s’identifier, elle touche bien plus l’assistance que sa collègue qui ne s’en tient qu’aux chiffres.
Ce que j’ai appris
Indépendamment des informations qui vont infléchir mes habitudes de conduite, ce stage a surtout représenté une formidable occasion de voir deux techniques de gestion du changement à l’oeuvre.
Deux techniques diamétralement opposées et aux résultats différents. Une excellente formation par la pratique.
Note : Pour les anglophones, cf cette vidéo bloggée par 37Signals : l’objectif n’est pas de dire la vérité. L’objectif est de mettre l’audience dans un état d’esprit réceptif pour entendre et assimiler cette vérité.
finalement ces quelques points perdus ne se sont avérés si inutiles finalement.
Merci pour le retour.
Bonjour Pascal,
Merci pour ce commentaire. Oui à toute chose malheur est bon …
“l’objectif n’est pas de dire la vérité. L’objectif est de mettre l’audience dans un état d’esprit réceptif pour entendre et assimiler cette vérité.”
Au lendemain d’un débat télévisé entre deux prétendants à la fonction suprême pour le pays, cette formule éclaire bien des choses : c’est pour ça qu’ils ne disent pas la vérité, ne débattent que peu du fonds et des réformes et ne visent pas à être réalistes ou même crédibles. Etablir le contact émotionnel est bien plus important.
Au passage, j’imagine que beaucoup ont expérimenté lors de leurs études ou d’une formation à quel point la personnalité de l’enseignant comptait dans l’intérêt perçu par les élèves. Celui qui est passionné, qui y croit, passe la rampe et embarque son auditoire là où un autre engendrera un ennui soporifique.
Le débat politique est autre chose : nous ne sommes plus dans de la pédagogie mais de la démagogie.
Oui tout à fait pour l’enseignant. C’est en partie lié