Henry Mintzberg : des managers, pas des MBA

Photo Jacques Nadeau
Henry Mintzberg est une référence dans le monde du management. Diplômé de la Sloan Management School du MIT, enseignant à McGill (Montréal) il est régulièrement placé dans le classement des Business Thinkers les plus importants malgré des prises de position qui vont souvent à l’encontre de l’orthodoxie de cette discipline.

Dans Des Managers, des vrais, pas des MBA, ouvrage de 2004 (seconde édition), Mintzberg remet frontalement en cause l’enseignement du management en général et celui des MBA en particulier. Pour cela il s’appuie sur une connaissance documentée des modes de management dans les différentes MBA (Carnegie et Stanford d’un côté, Harvard de l’autre). Il montre que les résultats observés sont pour le moins discutables et évoque les conséquences économiques mais aussi sociales de ces formations élitistes qui produisent des esprits analytiques mais pas des managers.

Dans la second partie du livre, il propose une alternative aux MBA pour former les managers avec ce qu’il a mis en oeuvre avec l’IMPM, montrant ainsi les contours d’une formation plus ancrée dans l’expérience, le réel et le métier.

#hypertextual s’attarde ici sur la première partie et essaye ainsi de remonter à la source des problèmes managériaux rencontrés dans les organisations, problèmes devenant plus épineux dans l’économie de la connaissance …

Prise de décision et analyse

Un des premiers problèmes soulevé par Mintzberg est celui qui consiste à réduire le management à la prise de décision et celle-ci à la seule analyse. En ayant durant de longues années réduit le curriculum de sa formation à des études de cas, la Harvard Business School a ainsi habitué ses étudiants à analyser des problèmes donnés, proposer des solutions, choisir celle la plus appropriée et la défendre devant le reste d’une classe n’ayant pour autre but que de démonter l’argumentation proposée.

Le problème dans cette approche est qu’il est très facile de prendre des décisions en étant complètement décorellé du contexte et des personnes et sans avoir à assumer la mise en oeuvre.  Par ailleurs, peu de temps est alors consacré à la phase aval (la transformation de la décision en action) ou en amont (le développement de compétences requises pour trouver les problèmes à résoudre).

En outre, l’analyse représente un travail de décomposition qui encourage la décomposition générique de l’organisation en fonctions et décourage l’aptitude à une synthèse contextuelle, i.e le ré-assemblage de tous ces éléments distincts dans une vision cohérente de l’organisation dans son milieu. Ce qui est selon l’auteur un des rôles essentiels du dirigeant.

L’Art, le métier et la science

L’enseignant de McGill propose 3 pôles pour comprendre les forces qui animent le management : l’art, le métier et la science. Il est selon lui important d’assurer l’équilibre entre ces trois pôles pour obtenir un management efficace et équilibré.

L’enseignement du management tel que pratiqué dans le MBA produit selon lui des professionnels aux compétences déséquilibrées avec 2 archétypes néfastes : le manager calculateur et le manageur héroïque.

Le calculateur

Le problème du manageur calculateur est que “beaucoup d’entre eux échouent parce que leur affinité avec leur entourage est presque entièrement cognitive : ils sont aveugles à l’affectif comme les daltoniens le sont aux couleurs” (il cite ici The Myth of the Well Educated Manager, un fameux article de J. Sterling Livingston).

En ne se basant que sur les seuls faits et le présent, le manager calculateur a tendance à oublier le passé. Par ailleurs, ces écoles ont tendance à développer chez eux un individualisme égocentrique, ce que concède un doyen de WhartonNotre système a tendance à récompenser le solitaire agressif”.

Un des problèmes essentiel est, paradoxalement, la difficulté pour ce type de profils à apprendre de l’expérience, et à ce sujet Mintzberg fait référence aux  fameux travaux de Chris Argyris : Teaching smart people how to learn.

L’héroïque

Alors que l’image de l’entreprise s’est de plus en plus cristallisée autour de la figure du PDG, il s’est formé cette image du héros sauveur. Cela a coupé le dirigeant du reste de l’entreprise et anéanti l’approche du management participatif.

Pour un nombre limité de managers aux résultats positifis (Lou Gerstner à IBM – voir la chronique de son livre par Bertrand Duperrin -, Paul Chambers à Cisco), combien de Carla Fiorina (HP), John Sculley (Apple – lire l’article du Times à ce sujet) ou Lorenzo (Continental Airlines) aux déclarations fracassantes, stratégies audacieuses et résultats médiocres ?

Le talent est-il surévalué se demande Malcolm Gladwell en citant la myriade de MBA qui ont participé à la débâcle Enron. Les MBAs étant friands de chiffres, ils peuvent se référer aux travaux de David Ewing qui cite dans Inside the Harvard Business School 19 dirigeants issus de cette école. Mintzberg profite du panel et étudie leurs résultats. Ceux-ci sont peu glorieux. Dix sur dix-neuf ont échoué, quatre à six autres ont des résultats discutables, seuls trois s’en sortent avec les honneurs (dont Lou Gerstner).

Le leader et l’organisation en réseaux

Le diplômé du MIT se demande comment conjuguer ce leadership incarné avec la nécessaire organisation en réseau du travail du savoir.

Dans cette organisation, la direction doit être partout et est donc l’affaire de tout le monde. Dans ce contexte, le contrôle doit céder la place à la collaboration ; les managers doivent pénétrer le réseau et certainement pas y être parachutés sans rien y connaitre pour tout diriger. Ils doivent être impliqués pour mériter leur autorité.

Nous sommes ici au coeur même de la raison d’être de ce blog.

La bureaucratie et la création d’entreprise

Mintzberg se fait provocateur et insiste sur le fait que les MBA finissent par devenir des bureaucrates dont le but est de contrôler le comportement humain par le truchement de la formalisation des activités et par la centralisation des décisions. En ce sens, ils ne sont pas solubles dans l’organisation en réseaux.

Cela se constate par le très faible nombre de MBA créateurs d’entreprise ou dirigeants de start-up. Mintzberg cite une étude de Ahmar Bhidé conduite auprès des anciens élèves de la HBS de ces 10 dernières années qui montre que seuls 18% se déclarent fondateur ou propriétaire majoritaires de leur organisation. Par ailleurs, Bhidé montre que parmi les 100 personnes ayant créé les entreprises à la croissance la plus rapide aux Etats Unis, si plus de 80% sont diplômés du supérieur, seuls 10% sont titulaires d’un MBA.

Enfin, l’auteur rappelle le cas de Xerox, organisation déchirée entre ses deux dirigeants sur la côte Est (titulaires de MBA de Harvard et Stanford) et le centre de recherche de la Silicon Valley. Les MBA étant formé pour l’opérationnel et l’exploitation et peu pour le risque de l’exploration (qui ne peut être suivi et chiffré) le futur funeste de Xerox malgré son admirable centre de recherches semblait tout tracé.

ENA Vs HBS

Rassurons nous, notre système français n’a rien à envier aux MBA et le natif de Montréal ne nous épargne pas. Il s’appuie ici sur un ouvrage de John Ralston Saul (Voltaire’s Bastards) dans lequel nos diplômés sont jugés trop cartésiens, détachés et arrogants, souvent brillants mais peu créatifs.

Le problème étant que la compétition farouche que suppose leurs études les rend terriblement individualistes et nombrilistes et font qu’ils ont du mal à gérer les hommes. Saul établit ainsi un parrallèle entre notre ENA (formant des énarques dotés d’ambitions personnelles sans point d’application) et la HBS, toutes deux produisant une élite privilégiant des vérités abstraites coupées du réel.

Enseignement et expérience

Au final, nous pourrions ramener ce problème à celui de la tension entre l’enseignement théorique et l’expérience. Les personnes passant un MBA cherchent surtout à obtenir un passeport pour une carrière plus rapide et plus rémunératrice. Le problème est que dans le processus ils s’imaginent devenir des experts en management. On retrouve ici une critique que l’on a déjà vue chez Matthew Stewart ou Matthew Crawford par exemple.

Hors le management est une pratique qui s’appuie sur ces deux piliers. Il est intéressant de noter la définition de l’expérience selon Mintzberg qui cite ici Saul Alinski .

La plupart des gens n’accumulent pas d’expérience. Ils subissent au cours de leur vie une série d’évènements qui traversent leur système sans être assimilés. Les évènements ne se transforment en expérience que lorsqu’ils sont digérés, que l’on y a réfléchi, qu’on les a relié à des schémas généraux et synthétisés.

La seule connaissance théorique ne rend pas compétent dans ce domaine, tout comme la seule expérience, dépourvue de l’éclairage théorique. Du coup seul l’Executive MBA, qui se rapproche de ce que propose l’IMPM  trouve quelques grâces aux yeux de Mintzberg car elle intervient en milieu de carrière pour des cadres qui ont alors l’opportunité de procéder à cette synthèse.

Une lecture hautement recommandée.

10 Comments

  1. Mintzberg…. redécouvre la Vie. Il n’est jamais trop tard, mais que de casses.Il nous dit donc que découper le réel en petits bouts avec des outils extérieurs à l’individu, ne peut nous donner, au mieux, que des gestionnaires.
    Mais la gestion n’est que la mise en oeuvre de la vision.
    Il est (plus que) temps de passer de sociétés qui s’occupent de la Gestion de la Vision, et non plus de la Vision de la gestion.
    Vers quels rèves, vers quels buts, qu’allons-nous, qu’est ce que je veux construire est déjà premier.
    Ca se décline en méthodologie de projet et en opérationnel.

    Certes, Mintzberg gère tout cela dans son IMPM, mais j’ai bien peur que cela ne reste une exception. Pour être et artiste, et scientifique et expériencé, il faut, volonté, temps et …. lacher prise. cette dernière dimension me semble la plus importante. Lâcher prise, ça veut dire, laisser aller les choses en fonction de ce qu’on ressent ….qui ne sonne juste et profond que lorsqu’on s’est débarassé de peurs, projections et autres postures, telles que l’entreprise, la société, nous en propose/impose.
    La bureaucratie, la société de gestion, a encore de “beaux jours ” devant elle.
    A moins qu’elle ne finisse par s’écrouler sous son propre poids.
    A moins que ce ne soit déjà le cas..

    Un grand merci pour la présentation de ce livre.
    je vais faire suivre ce lien au maximum.

    Ce blog est une vraie mine d’ouvertures.

  2. Bonjour Joël,

    Merci pour ce commentaire. Servez vous, ce blog est ouvert à tous. Je vous invite à faire un tour du côté de bibliothèque pour aiguiller vos recherches.

    J’aime beaucoup le “passer de gestion de la vision à la visio de la gestion”. Très beau car très juste : passer de l’obsession du contrôle à un leadership plus affirmé et plus émancipateur pour les équipes. Splendide.

  3. Passionnant Mintzberg. Il est bon de remettre les pendules du management à l’heure lorsque l’on voit le coût du mal être des salariés du public et du privé en France, 100 milliards par an (Institut Sapiens).
    Merci bien pour cet article !

  4. Bonjour Marie merci pour votre commentaire. Attention au biais de confirmation avec cette lecture. Il existe un grand nombre de particularismes spécifiques à la culture française dans nos modes de management : sensibilité très forte à hiérarchie, vision centralisée de la chaîne de commande, primauté du niveau de diplôme, goût prononcé pour les grands travaux. Lire les travaux de Philippe d’Iribarne ou Geert Hofstede sur cette dimension interculturelle ou mieux : partir travailler quelques années à l’étranger.

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