Objet de fantasmes incarnant les promesses de l’avenir il y a 5 ans, l’iPhone est devenu aujourd’hui un sujet de sarcasmes.
A travers cela je ne sais pas si l’on se moque de l’instrument lui-même ou de la fascination enfantine qu’il suscite chez nous. Il va être intéressant de voir comment la relation du grand public à cette marque évolue car il s’agit, quasiment en temps réel et à une échelle gigantesque, de l’illustration de notre relation sociologique à l’innovation …
Enfants gâtés
Il est accessoirement aussi instructif de mesurer la durée de vie de l’innovation aujourd’hui. Les gens en attendent davantage, ils veulent de l’innovation disruptive en continu, ils se fichent de l’amélioration incrémentale.
L’immense Steve Jobs a fait de nous des enfants gâtés. Il a compris avant tout le monde que le facteur différenciateur que ce 21ème siècle naissant attendait n’était pas la technologie mais l’usabilité. En ce sens, il est probablement un des meilleurs lecteurs de l’Innovator Dilemma de Clayton Christen (son ouvrage de chevet).
Serious about software / Serious about hardware
Il a laissé le champ “vulgaire” des prouesses technologiques à une compétition qui n’a rien compris, pour investir l’océan bleu de l’expérience utilisateur.
Tournant le dos aux consignes systématiques du management moderne (il est d’ailleurs intéressant de constater que les pires années d’Apple l’ont été sous la direction de MBAs) qui invite à se concentrer sur son “coeur de métier”, Jobs a toujours mené la bataille sur les deux fronts : logiciel et matériel, mettant ainsi en exergue cette citation de Alan Kay qu’il a rappelée durant la présentation originelle de l’iPhone en 2007 :
“People who are really serious about software should make their own hardware”
Samsung et Google peuvent toujours essayer, ils ne proposeront jamais une expérience cohérente et intégrée comme peu le faire Apple.
Technologie Vs Solution
L’intervention de Jesse James Garrett (un des gourous de l’expérience utilisateur) à l’USI 2012 est un long hommage à la vision de Steve Jobs. Cette présentation gravite autour d’une citation du regretté barbu à col roulé, citation qui date de 1984 où Jobs avance que les grands professionnels sont ceux qui ne réduisent pas la conception de produits technologiques aux seules technologie et fonctionnalités. Non : les plus grands continuent à réfléchir au problème jusqu’à ce qu’ils trouvent une solution, belle et élégante, qui fonctionne.
En résolvant ce problème, Steve Jobs a transformé le silicium de la technologie en or d’objets socio-culturels. Des objets brandis fièrement par leurs propriétaires, comme artefacts différenciateurs définissant leurs personnalités.
2007 Vs 2012
Aujourd’hui la firme est confrontée a 2 problèmes.
Le premier tient aux deux axes de son positionnement originel. En premier lieu penser différemment (Think Different). Si tout le monde dispose d’un produit Apple pour matérialiser leur caractère distinctif, les produits ne sont justement plus un produit de distinction. Le second point est l’anti-conformisme. Contre l’hégémonie du PC, Jobs qui a grandi dans une Californie imbibée de contre-culture, a positionné ses produits comme symboles de l’anti-conformisme. Que vaut ce positionnement alors que depuis un an Apple est une des entreprises la avec la plus grosse capitalisation boursière au monde ?
Le second axe de positionnement est qu’en transformant ses appareils technologiques en objets socio-culturels, Jobs les a aussi rendus vulnérables aux affres de ces derniers à savoir l’effet de mode. Un peu comme pour les vêtements ou la musique, on attend de ces produits un renouvellement incessant, l’excitation de la nouveauté, de la rupture. On se retrouve ici bien vite à heurter le plafond de la constante de temps nécessaire au développement technologique matériel. On ne peut simplement pas révolutionner ces technologies au rythme exigé par la culture populaire.
Aujourd’hui la révolution de l’expérience utilisateur a complètement été intégrée par la concurrence et par le grand public. L’océan bleu de 2007 a laissé la place à un océan rouge, saturé par une concurrence agressive et des consommateurs blasés.
La fin de l’état de grâce
Il va être intéressant de voir comment Apple, et son histoire d’amour avec le grand public, va évoluer. Quelle va être la stratégie de la firme ? Comment va-t-elle faire évoluer son positionnement ? Que ferait donc Steve ?
Pour qu’Apple garde son “why” et ne tombe pas dans la banalisation, il est du coup peut être dans son intérêt qu’Android notamment passe en tête pour se repositionner dans une position de niche et de différenciateur.
Reste tout de même la question : comment une entreprise leader sur son marché en terme d’usages peut gérer à repasser 2nd tout en ménageant ses utilisateurs pour ne pas créer une migration massive vers le nouveau leader…
Ou alors elle peut saper ses produits en terme de technologie (NFC ? 4G ? par ex) sans sacrifier la partie usages et se repositionner ainsi ?
Salut Nicolas, merci pour le commentaire.
Apple n’est pas dans une position où ils peuvent se permettre d’être numéro deux. Ce serait jugé comme un terrible échec.
Avoir intégré le marché des objets socio-culturels a été une merveileuse idée sur le court terme. La question est de savoir comment tenir sur le long terme ? Il s’agit là d’un territoire inexploré jusqu’alors. Nous sommes plus dans la sociologie que dans le marketing, et c’est en cela que c’est fascinant.
Depuis des années, Apple procède selon le modèle : (intégration de technologies existantes + innovation marché / marketing) -> leader jusqu’à la maturité -> on passe à autre chose.
C’est ce qu’ils avaient mis au point avec l’i-mac, puis ils ont fait cela avec l’i-pod, l’i-phone et aujourd’hui l’i-pad.
La nouveauté de la situation ne vient pas tant du “vieil” i-phone, mais plutôt de l’i-pad où Apple se fait tailler des croupières prématurément alors qu’ils n’ont pas attaqué un nouveau marché (on attend toujours l’i-TV).
Bonjour et merci pour votre commentaire. l’iPad se fait tailler des croupières ? http://bgr.com/2012/08/14/ipad-market-share-all-time-high/