Deuxième partie de la réflexion littéraire sur cette thématique (la première ici).
Un roman prodigieux, total et omniscient, recommandé encore une fois par l’indispensable Aymeric Morillon : la découverte du ciel de Harry Mulisch.
Une première partie diablement Kunderienne, plaçant un triangle amoureux dans l’atmosphère révolutionnaire de la fin des années 60. Les trois personnages portant chacun une dimension essentielle de la culture européenne de cette époque : la science, l’art (la musique) et la politique.
La seconde partie, quasiment messianique, raconte, elle, l’enfance et le développement d’un jeune messie que les dieux ont envoyé sur terre pour accomplir une mission essentielle.
Dans une sorte d’humour tongue in cheek, l’auteur démiurge met en scène des interludes dans lequel les dieux portent un regard distanciés sur les évènements du roman, évènements qu’ils gèrent de mains de maitres depuis leur Olympe. Des dieux passablement remontés contre le Prométhée qui a apporté la science aux hommes : Francis Bacon.
“Il est indéniable que sur terre la technologie prend progressivement le pas sur la théologie (…) Tous les douze ans la connaissance humaine double de volume – aujourd’hui en 1985 ils savent plus de choses qu’en 1973 et plus ils approchent de la toute puissance, plus tout devient littéralement possible en leur monde. Knowledge is power – à ton avis qui a inventé cet aphorisme ? Ce satané Francis Bacon, une fois de plus (…) Moins de cinq ans après la mort de Bacon, Galilée et Descartes écrivaient leurs oeuvres fondamentales …”
J’ai écrit un billet il y a quelques mois au sujet de cette question qui illustre mes réflexions sur notre relation au monde. Comment appréhendons-nous les choses et évènements auxquelles nous sommes confrontés ? Comment en tirons nous un savoir pour mieux comprendre le monde qui nous entoure et mieux interagir avec lui ? Les différentes approches se retrouvent sur un axe à un premier pôle duquel se trouve la croyance et à l’autre l’approche scientifique.
Nous parlons encore et toujours de la méthode scientifique initiée par Francis Bacon au XViième siècle, formalisée par la Royal Society. Cette approche scientifique (hypothèse, expérimentation, mesure, enseignement) a été adaptée au monde de l’entreprise au XXième siècle par la fameuse roue de Shewart et Deming : le PDCA. C’est cette approche qui est au coeur de la réussite la plus spectaculaire de l’industrie automobile du XXème siècle avec Toyota, industrie que Peter Drucker qualifiait d’industrie des industries.
Les pauvres lecteurs de ce blog vont sans doute probablement regretter de me voir encore et encore, like a broken record, revenir à cette méthode qui semble poussiéreuse (le coeur de la Total Quality : un truc des 50s, au 21ème siècle, quelle horreur !). Si je me permets d’inlassablement insister c’est que, comme l’illustre ce roman, se joue ici la clef de notre rapport au monde et de la construction de la connaissance, ce qu’Eric Ries appelle la connaissance validée, ce qui nous permet de répondre à la question : comment savons-nous ce que nous savons ?
Indépendamment de la perspective purement négative des apports de la science et de la technologie, un des ravissements procuré par ce livre est que le romancier néerlandais y voit lui aussi l’axe essentiel de notre rapport au monde, comme en atteste l’extrait ce dessus.
Un extrait qui fait écho à une citation lumineuse de l’immense Dan Jones au Lean Summit 2014, citation qui m’obsède depuis.
In our fast moving world, learning occurs while engaging with the world with the scientific method.