Chris Voss est un ancien négociateur du FBI, spécialiste des prises d’otages et de la négociation avec des criminels ou des terroristes dans des situations éminemment tendues. Dans Never Split the Difference – Negociating as if your life depended on it, il décrit les différentes méthodes utilisées pour établir le contact et obtenir ce qu’il souhaite de ses interlocuteurs.
Sa posture est simple : lors d’une négociation, il n’y a pas opposition entre deux personnes mais deux partenaires qui cherchent à régler une situation. Et la vertu cardinale est l’écoute : listening as a martial art comme il l’exprime si bien.
L’intérêt du livre réside dans l’aller retour éclairant entre la théorie et la pratique. L’auteur a enseigné à Harvard, Georgetown, Northwestern, Lausanne ou Francfort, et son ouvrage est enrichi de références à de nombreuses théories de psychologie. Quant aux cas pratiques, il s’agit d’histoires de première ou seconde main : vécues par l’auteur lui-même, des élèves ou des collègues.
Un ouvrage éclairant, pratique et pédagogique : si ces techniques fonctionnent avec des criminels et des terroristes, il n’y pas de raison qu’elles ne puissent fonctionner dans un contexte d’affaires, avec votre partenaire dans la vie voir même avec vos ados …
Un processus de découverte
Le premier enseignement est que la négociation est un processus de découverte. On ne prend aucun des éléments d’information dont on croit disposer pour des certitudes : on les considère comme des hypothèses à valider lors des échanges. L’objectif est de se concentrer sur l’interlocuteur plutôt que sur ce que l’on a à dire pour essayer de valider toutes ces hypothèses et se préparer aux surprises qui immanquablement surgiront.
Création du lien : écoute, effet miroir, empathie tactique et labeling
La négation démarre par l’écoute. L’objectif est d’écouter de façon très active pour essayer de récupérer tous les indices qui nous permettrons d’avancer et de valider nos hypothèses. Surtout pour créer le lien. Un exercice pour travailler l’écoute est de s’efforcer à créer l’effet miroir en répétant ce que dit l’interlocuteur pour lui montrer qu’il est effectivement écouté.
Le second point est l’empathie qui est la capacité à comprendre la perspective de l’interlocuteur (ce n’est pas de la sympathie). Ross apporte la notion d’empathie tactique qui consiste à essayer de comprendre les moteurs derrière la perspective de la personne. Ce que Ross qualifie d’Emotional Intelligence on steroïds.
Autre outil pour créer le lien : Labeling (que l’on pourrait traduire en qualification ou identification). L’idée est de mettre des mots sur des craintes observées (par l’empathie tactique) et de les exprimer sous formes impersonnelles : exemple : il semblerait que vous craignez que l’on mène l’assaut si vous ouvrez la porte. Le verbe hypothétique et la forme impersonnelle permettent de rester sur un terrain neutre que votre interlocuteur peut contester sans que cela crée un problème. L’utilisation du pronom personnel Je risque lui de donner une impression de jugement.
Dernier point sémantique important pour créer le lien : l’auto-accusation (accusation audit), qui présente plusieurs vertus. La première permet de couper l’herbe sous le pied de l’interlocuteur mais aussi fait preuve de bonne foi : on reconnait des points qui peuvent être perçus négativement par celui-ci, sans pour autant les valider. Je comprends que depuis votre perspective on puisse penser que mon attitude semble discutable … Cette posture rend vulnérable, et crée une certaine confiance. Si on démarre par s’excuser (je suis désolé) c’est encore mieux.
Inviter au “Non” et tendre vers le “C’est ça”
Ross s’élève contre les principes généraux de la vente consistant à mettre l’interlocuteur dans une démarche positive en invitant au oui. Sa perspective est opposée : pour permettre à l’interlocuteur de se mettre à l’aise, il est préférable de rapidement lui permettre de s’opposer et dire non. Le non permet à votre interlocuteur de se sentir en sécurité (il a le droit de s’opposer et il exerce ce droit) et de lui donner un sentiment de contrôle de la situation.
Mais ce que l’on veut atteindre, c’est le c’est ça (That’s it). Pour cela : l’auteur invite à utiliser tous les outils précédents : effet miroir, encouragement minimaux (oui, je vois), labelling (il semble que vous craignez de …), paraphraser les propos (la reformulation pour montrer qu’on a intégré la perspective de l’autre et résumer. Ce que dit l’auteur c’est que si on parvient à ce que l’auteur prononce cette phrase magique, on alignera les deux objectifs et arrivera plus facilement à un accord.
Questions Calibrées
Une autre arme absolue avancée par le négociateur en chef : la question calibrée. Il s’agit juste de question ouverte (i.e qui n’invite pas à une réponse de type oui/non). On retrouve ici l’arme favorite des coachs et des bons managers (qui questionne dirige comme me l’a appris cette pertinente formation en management). L’idée est que lorsque l’interlocuteur pose un ultimatum répondre attendant une réponse OK/KO poser simplement cette question : comment suis-je sensé obtenir cela dans un temps si court ? Ce type de questions présente l’avantage d’aider à sortir d’une situation de confrontation et évitent de donner des éléments d’attaque à votre interlocuteur. On privilégie les questions en Comment ou en Que, on évite les Qui, Quand, et Où qui peuvent être perçues comme des moyens de pression par l’autre partie ainsi que le Why qui peut causer une approche défensive.
Communication non verbale
Autre dimension fondamentale dans la négociation, la communication non verbale. Etude psychologiques à l’appui, Ross rappelle la règle du 7-38-55 du Professeur Mehrabian : seuls 7% d’un message sont basés sur les mots, 38% sur le ton de la voix et 55% sur la communication non verbale (expressions du corps et du visage). Pour la voix, Ross invite à utiliser la Late night DJ voice : cette voix douce, profonde et apaisante des animateurs de radio nocturne. Pour ce qui de l’expression non verbale, il invite à rester concentré et lucide sur la nôtre et d’utiliser le labelling pour rendre visible la possible incohérence entre des propos et l’attitude (Tu dis OK mais ta manière de le dire et ton expression du visage semblent indiquer le contraire).
Au coeur de la négociation
Premier point : comment dire non sans sembler trop négatif pour ne pas braquer son interlocuteur. On retrouve ici l’approche préconisée dans la communication assertive : je suis désolé mais je crains que ce ne soit pas possible.
Deuxième point, lorsque l’on négocie un chiffre Ross recommande de donner un chiffre précis qui ne soit pas un chiffre rond. L’idée est de donner le sentiment à notre interlocuteur qu’il s’agit d’un chiffre auquel on a vraiment réfléchi et qui ne sort pas du chapeau.
Never Split The Difference : l’idée principale de l’auteur : on ne cherche pas le compromis à mi-chemin. On se fixe un prix max et on place une ancre (anchor) très basse pour déstabiliser l’autre partie (à 65%). On peut ainsi arriver au prix maximal que l’on s’était fixé en ayant remporté l’enchère.
Une petit vidéo de l’auteur filmé chez Google pour continuer la découverte de son savoir faire …