Toute révolte consommée

revolte consommée

Encore une fois, Hypertextual perd toute pertinence en regard de l’actualité pour s’attarder sur un autre de ces ouvrages indispensables pour mieux comprendre les mécanismes internes de nos sociétés et cultures occidentales. Un essai fascinant qui justifie 2 billets : le sequel dispo .

(Merci à Aymeric pour le conseil de lecture glissé dans une discussion sur la classe moyenne et la profonde aversion qu’elle suscite à gauche.)

Joe Heath et Andrew Potter s’attaquent aux idée-forces qui innervent la pensée sociétale contre-culturelle depuis 40 ans et son avènement formel avec la parution de l’ouvrage Vers une contre-culture de Theodore Roszak. Si les auteurs ne questionnent jamais les vertus artistiques ou divertissantes de la contre-culture, il font preuve de l’audace que louait Bourdieu en s’attaquant au conformisme de l’anti-conformisme.

Guidés par un implacable sens éthique, Heath & Potter s’appuient sur les travaux de Thomas Franck (dont ils se réclament ouvertement), Thorstein Veblen, Thomas Hobbes, Fred Hirsch, Pierre Bourdieu ou Les Beastie Boys pour prouver qu’il existe un territoire intellectuel médian et cohérent. Ainsi ne cèdent-ils davantage au spectaculaire de la révolution bidon qu’ au conservatisme réactionnaire pour proposer une analyse rafraîchissante, décapante et salutaire.

Contre-culture + ultra-libéralisme = love

Dans une argumentation érudite et limpide, ils minent les fondations psychanalytiques, philosophiques, sociologiques et culturelles sur lesquelles s’est construite la contre-culture dans son combat fantasmé contre la société de consommation.

Naomi Klein, Adbusters, Michael Moore, Theodore Roszak, Sigmund Freud, Karl Marx ou le pauvre Kurt Cobain : tous les totems de la contre-culture vacillent sous les coups de boutoirs rhétoriques des auteurs. Leur lumineuse conclusion (auteurs sur lesquels ils s’appuient principalement pour la construire)  :

  1. Contrairement aux tables de loi des théologiens contre-culturels, ce n’est pas le désir de se conformer qui motive le processus de consommation mais la quête de statut (Thorstein Verblen), l’escalade concurrentielle d’acquisition de biens positionnels (Fred Hirsh) et l’obsession de la distinction (Pierre Bourdieu).
  2. A une époque où le cool a remplacé le système de classes dans la hiérarchie sociale, les artefacts de la contre-culture sont devenus les meilleurs attributs positionnels. La contre-culture est donc le meilleur carburant de la société de consommation.
  3. En ne proposant que des systèmes radicaux, utopistes et inapplicables, et en ridiculisant l’action politique réformatrice, la contre-culture en tant que pensée sociétale individualiste est le meilleur allié objectif de l’ultra-libéralisme.

D’où tu parles ?

Bien que tous deux universitaires, Heath & Potter sont d’une lucidité impitoyable avec leur corps de métier, en commençant par eux même. S’agit-il alors d’une critique réactionnaire, bourgeoise, philistinne, ultra-conservatrice ? Rien de tout cela : il s’agit d’une perspective éprise d’éthique, discipline enseignée par Andrew Potter à l’université de Montréal. Joseph Heath enseigne lui la philosophie à l’université de Toronto.

Anciens de la mouvance Adbusters / No Logo ils en ont claqué la porte lors de la mise sur le marché par Adbusters de baskets visant à battre Nike sur le marché de la coolitude. On peut comprendre.

Leur motivation et leur mantra sont celles d’authentiques réformistes démocrates-sociaux : réformer graduellement la société pour la rendre plus juste et équitable en renforçant le rôle de l’état, du peuple, (du nous, quoi) pour contrer l’ultra-libéralisme. Comme ils le livrent à fluctuat : Ce qu’on dit c’est : osez être conformiste parce que si vous voulez changer la société de consommation, il n’y a que cela à faire.

De la normalité

Oh mon dieu ! Si nous ne pouvons plus compter sur les commandements de la contre-culture, quels principes intellectuels nous permettront de vivre dignement sur un plan éthique dans la société de consommation ? Qu’allons nous devenir si nous ne pouvons plus nous habiller chez Urban Outfitters pour gagner du crédit rebelle  ?

H&P répondent avec cette même sagesse froide que Raymond Aron salue chez Veblen, dans la préface de la Théorie de la classe de loisir.

Il est possible d’être un adulte normal et équilibré : il suffit de suivre les règles qui favorisent l’intérêt général tout en s’opposant à celles qui sont injustes. La critique contre culturelle a soigneusement ignoré cette option.

Ils citent dans ce cadre les expériences du sociologue Harold Garfinkel et concluent avec lui que la normalité n’est pas une caractéristique que nous possédons : il s’agit d’un statut que nous tentons activement d’atteindre et de maintenir. Et nous nous attendons à ce que les autres fassent de même. La normalité permet une réduction de l’effort cognitif. Et d’éviter l’anxiété dans le présupposé du comportement d’autrui.

On retrouve ici une apologie de la société de confiance, dont on sait combien celle-ci est malmenée chez nous.fr.

Principes à la con

Cette relation pacifiée que n’a jamais vécu Kurt Cobain, messie de la contre-culture sacrifié sur l’autel de principes à la con, qui, écartelé entre son succès global et sa loyauté indéfectible aux 10 commandements contre-culturels, se haïssait et finit par se suicider. Une histoire tragique qui ouvre l’essai et qui on l’espère, ne préfigure pas l’avenir des sociales-démocraties.

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