Depuis l’avènement de Google comme incarnation du coeur de la société de la connaissance universelle, accessible à tous, j’ai cette impression diffuse que certains petits cercles se sentent dépossédés d’un privilège atavique. Ainsi les journalistes et les élites intellectuelles dépourvus de leur primauté à l’information, à la connaissance et à l’exclusivité de publication.
Je me rappelle de cette conversation avec un ami astro-physicien, chercheur du CNRS mondialement réputé, qui exprimait sa méfiance vis-à-vis d’internet et de Wikipedia où tout le monde à le droit de publier des articles dont on ne peut jamais garantir l’exactitude, et ce dans les mêmes mots qu’un autre ami, journaliste celui-là.
Un autre exemple spectaculaire ce jour (18 Septembre 2009) dans les matins de France Culture entre Patrick Bazin de la Bibliothèque de Lyon et Alain Gérard Slama, intellectuel libéral chroniqueur au Figaro mais aussi (surtout), pour ce qui nous concerne aujourd’hui , diplômé de Normale Sup et de sciences Po.
Pierre Bazin 2.0
Patrick Bazin est un homme de son temps. Il pousse pour faire avancer la numérisation de sa bibliothèque avec un acteur dynamique plutôt qu’attendre l’hypothétique disponibilité de bibliothèque Européenne pour démarrer ce projet. Tandis que le gouvernement est plutôt circonspect et invite à attendre avant de se lancer dans une procédure coûteuse (environ 60 M€ pour une numérisation de 500,000 ouvrages) avec un acteur étranger (Google).
Ses propos sur la désacralisation de la chose écrite grâce aux nouveaux media ou encore sur le changement de la relation à l’information, de consommateur à producteur, attestent de sa connaissance des outils et usage de la chose électronique en 2009.
Alain Gérard Slama 1.0
Les propos d’AGS de ce matin, particulièrement virulent à l’égard de Wikipedia (des sources de données peu fiables) ou des nouveaux usages collaboratifs d’internet (en agrégeant des données sans pertinence on ne fait pas de l’analyse mais du n’importe quoi) prouvent qu’il est très mal documenté sur le sujet.
Lorsque l’on sait comment Slama prend habituellement mille précautions dans ses chroniques matinales pour exprimer sa perplexité sur un sujet donné, la virulence de ses propos auraient tendance à exprimer autre chose que de la pure argumentation rhétorique.
Enfin sa disqualification d’une mémoire monumentale (sa citation de Borgès), contresens absolu, trahit une méconnaissance et le place aux antipodes d’un Michel Serres, (grand fan de Wikipedia) et de sa merveilleuse démonstration rappelant qu’en perdant la mémoire, ou plutôt en la déléguant à Google, nous créons ainsi les conditions de la totipotence et de l’avènement de l’innovation.
Mon sentiment : cela exprime l’inconfort vis à vis d’un media qu’AGS ne maitrise pas. Ainsi qu’une certaine frustration à l’idée que l’Elite soit dépossédée de son accès privilégié à la connaissance. Elite qu’il incarne avec une grande ferveur en tant que président de la Fondation de l’Ecole normale supérieure de la rue d’Ulm.
Ce discrédit systématique des outils du décloisonnement de la connaissance mériterait bien, si ce n’était déjà fait, un bon entartrage.
Ca me fait penser à une discussion que j’avais eu avec le directeur du “secteur musique” d’une grande bibliothèque française.
Ce monsieur qui était – et qui est toujours je l’espère – une pointure dans son domaine et qui avait effectivement une connaissance tout bonnement encyclopédique de certains pans de la culture musicale mondiale (le jazz tout particulièrement)développait une phobie toute professionnelle face à internet et aux moteurs de recherche.
La facilité avec laquelle on pouvait retrouver le titre et l’année d’enregistrement d’une obscure collaboration entre des pionniers du free jazz, un soir de cuite, dans un bar glauque de Chicago le désespérait. Lui qui le savait, sans le recours à aucune béquille informatique, il se sentait dépossédé de sa passion, de sa compétence, de son utilité.
Et c’est là où l’on retombe sur “les netocrates” et la capacité à trouver l’information, la trier, la hiérarchiser, qui est – je le pense également – une des nouvelles compétences qui vont être mises en avant dans les années qui viennent.
Bonjour Joseph,
Merci pour ce commentaire. Cela fait drôlement plaisir de retrouver des lecteurs …
On touche ici à un aspect essentiel de la connaissance et de sa relation à certaines formes de pouvoir. Cette relation directe est pulvérisée aujourd’hui par internet. Il y a un essay très interessant de John Husband à ce sujet cela s’appelle Wirearchy http://www.wfs.org/husband.htm.
Je suis à ce sujet fasciné par l’avènement des outils de collaboration interactifs, les “médias sociaux” dans l’entreprise. Imagine l’electro-choc que cela represente dans l’entreprise ! La génération en place ne va pas comprendre ce qui lui arrive avec l’avènement de la génération hyper connectée.
Comme le rappelait Peter Drucker, contrairement à l’ouvrier dépossédé des moyens de production par l’entreprise, le travailleur de la connaissance possède son moyen de production, et cette nouvelle génération le sait parfaitement.