Le Déni Français par Sophie Pedder

Sophie Pedder est la chef du bureau de The Economist à Paris. Elle est la rédactrice du fameux article du magazine Britannique qui a mis la France politique en émoi au Printemps, article qui insiste sur la dimension frivole du contenu de la campagne quand de nombreux problèmes patents demeurent non traités.

A la manière de On Achève Bien les Ecoliers de Peter Gumbel pour l’éducation, ou le très drôle God Save La France de Stephen Clarke sur l’absurdité de la vie en entreprise.fr, Le Déni Français propose un regard extérieur et salutaire sur notre économie, regard délesté de nos oeillères hexagonales pour faire apparaître d’authentiques problèmes et injustices économiques.

La motivation

Sophie Pedder vit en France où ses enfants sont scolarisés et grandissent. Elle aime ce pays, sa culture, et oui (lisez bien) reconnait ses formidables atouts. Son motto dans ce livre : si la France veut conserver cette qualité de vie il va falloir faire des choix car le système aujourd’hui n’est plus soutenable.

Ce problème, l’auteure a essayé à de nombreuses reprises d’en discuter avec diverses personnalités politiques et a obtenu un florilège “d’explications” liées à la spécificité culturelle (un service public efficace, ce genre de mythologies nationales). Ces excuses, l’auteure les identifie bien moins à une spécificité qu’à un déni et les démonte une à une.

Le modèle scandinave

Bien consciente qu’une argumentation prenant pour exemple le modèle anglo-saxon prêterait le flan à un discrédit instantané, la diplômée d’Oxford a l’intelligence dans cet essai de dresser des comparatifs (chiffrés) avec des modèles proches (Suède, Allemagne) ou neutre (OCDE).

Il s’agit d’une stratégie payante car la sociale démocratie Scandinave est un vrai cauchemar pour le système social français. Il est en effet facile de diaboliser le modèle ultra libéral anglo-saxon pour se prévaloir des valeurs morales d’un système progressiste. Il est beaucoup plus inconfortable de se comparer aux systèmes vertueux du nord.

En particulier à l’exemple du redressement Suédois des années 1990 : l’auteure remonte directement à la source (le ministre des finances Suédois Anders Borg) pour comprendre les mesures engagées par ce pays qui a résorbé une crise grave et profonde durant les années 1990. Un redressement qui s’est appuyé sur un certain nombre de choix collectifs, transparents et démocratiques consentis par la population, en particulier au niveau de la maîtrise des déficits publics. Cette maîtrise sera institutionnalisée alors qu’est entérinée en 1997 la règle d’or.

Une dette insupportable

Des comparaisons qui jettent une lumière crue et peu flatteuse sur notre système dans lequel notre modèle social se finance immanquablement avec une dette, aujourd’hui considérable : avec un coût de 50 Milliards, le service de la dette représente le premier budget de l’état, somme qui absorbe la totalité de l’impôt sur le revenu.

Comme le rappelle Michel Pébereau dès 2005 : “Chaque fois qu’un problème nouveau s’est présenté depuis vingt-cinq ans, notre pays y a répondu par une dépense supplémentaire.”

Le mystère des collectivités locales

Supposons que l’augmentation de 1 million du personnel de la fonction publique sur les 20 dernières années soit justifiée, même si la France est le seul pays de l’OCDE où le pourcentage d’employés du service public augmente.

Mais comment expliquer l’augmentation de 50% des employés des collectivités territoriales. Et, pour la seule année 2008 (année électorale), l’augmentation de 15% des effectifs dans les départements et de 35% dans les régions, (population qui prend en moyenne 22,6 jours de congés maladie annuels) ? Est-ce cela la politique ? Pas pour Sophie Pedder :

“Le secteur public du 21ème siècle doit être un secteur réactif et souple tourné vers le contribuable ou le client. Pas une machine à fabriquer de confortables emplois à vie”.

L’injustice du marché du travail

Et de mettre en lumière ce système profondément injuste. D’un côté les insiders (ceux qui disposent d’un CDI – privé ou public) bénéficiant des droits parmi les plus sécurisants au monde. De l’autre ceux (jeunes, femmes sous diplômée) qui ne peuvent se prévaloir que d’emplois précaires dans un système où comme le concède un conseiller de Martine Aubry à la journaliste, “il vaut mieux tolérer un chômage élevé que créer davantage de travail s’il est indigne”.

Le résultat : un système de CDI si contraignant que les entreprises vont préférer employer des CDD ou des interims. Ainsi d’après la commission européenne, la probabilité de passer d’un CDD à un CDI a chuté en France de 45% en 1995 à 12% en 2010 alors que la moyenne est de 25,8% dans le reste de l’Europe.

La réponse de Joffrin

L’article initial verra l’avant garde du conservatisme franchouillard, sous la plume “courageuse” d’un Laurent Joffrin profondément vexé, répondre un peu cavalièrement aux arguments économiques avancés. LJ est évidemment outré par la forme, cette irruption brutale d’une réalité indocile, et peu du fond car ça on ne sait pas trop faire.

Si comme le prétend Edmund Phelps, le prix Nobel d’Economie 2006, la France perd un point de croissance en raison de son manque de culture économique, la presse française y est pour beaucoup.

Un partenaire européen embarrassant

Et cette argumentation de notre Lolo national semble avoir bien peu d’écho auprès des partenaires européens de l’hexagone. Alors que toute l’Europe adapte les systèmes de retraite à l’évolution démographique (sujet déjà traité par #hypertextual), François Hollande ramène l’âge de départ à 60 ans pour certaines catégories, ce qui fait grincer les dents de Wolfgang Schauble le ministre allemand des finances.

Quant au ministre de l’économie Rainer Bruederle, peu impressionné par nos spécificités culturelles et plus par l’effondrement des parts de marché à l’export entre 1998 et 2011 il a des propos encore moins compréhensifs que la rédaction de The Economist, propos que Sophie Pedder rapporte : “La France est un pays qui a vécu sur l’assistance et négligé sa compétitivité.”

Combattre l’auto-satisfaction

Dans le modèle d’Elizabeth Kübler Ross, le déni est la première phase du processus de deuil. Par extension, on en parle aussi comme de la première étape de la gestion du changement. A ce titre, John Kotter, l’ancien professeur de Harvard spécialiste du sujet a écrit un ouvrage éclairant : Leading Change [EN]. Dans ce livre, il fait référence à un conseil d’administration d’une entreprise en crise, scène qui évoque immanquablement chez moi l’image de nos dirigeants politiques de ces trente dernières années :

“Les analyse des erreurs de la concurrence et les discussions plutôt abstraites sur la stratégie évitaient toutes de se confronter aux problèmes essentiels de l’entreprise. Comme cela était prévisible, aucune décision significative n’a été prise au terme de la réunion car on ne peut pas prendre de décision importante sans parler des problèmes essentiels.”

Dans son ouvrage, Kotter indique que la première étape à un processus du changement consiste à susciter un sentiment d’urgence et à combattre l’auto-satisfaction.

Une entreprise salutaire, donc, à laquelle Sophie Pedder s’emploie avec panache (en appelant aussi, vigoureusement, à une prise de conscience de notre tendance à l’auto-apitoiement) dans cet essai tonique (cf présentation de l’ouvrage par l’auteure sur Telos). Essai à la pointe d’une offensive générale du magazine contre la gestion indigente de nos comptes publics.

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