Géants du Web : principes et défis de la mise en oeuvre hexagonale

geants

Octo Technology a organisé le 20 Novembre un petit déjeuner très chic (quasiment un mini-USI) autour du sujet des Géants du Web.

Sujet que les Octos ont traité à de nombreuses reprises sur leur blog et auquel ils ont consacré un remarquable ouvrage collectif, disponible sur Amazon ou en téléchargement gratuit (avec inscription). Dans la grande tradition Octo, un ouvrage avec lequel chaque participant à ce petit déjeuner est reparti.

En synthèse, les acteurs majeurs du web d’aujourd’hui (Amazon, Facebook, Twitter, Google etc …) ont su se libérer des dogmes du passé et aborder des sujets avec fraîcheur pour apporter des solutions nouvelles, radicales, efficaces à de vieux problèmes de l’informatique pour citer l’introduction de leur ouvrage.

(NDLR : ils ont aussi su trouver des solutions nouvelles pour prendre quelques libertés avec la fiscalité mais ce n’est pas le sujet ici).

Une présentation du sujet puis une table ronde qui a fait intervenir des responsables d’entreprises hexagonales. Fabien Chazot (Meetic), Jean-Marc Potdevin (qui signe la préface du livre, de Viadeo), Ismaël Héry (LeMonde.fr) et Stéphane Priolet (CDiscount) ont ainsi répondu aux questions du modérateur Eric Biernat pour nous donner leur retour d’expérience sur ces pratiques. Une matinée particulièrement enrichissante synthétisée à un clic d’ici …

Plus grand, plus vite, plus efficace

Ludovic Cinquin (DG France), Guillaume Plouin (Practice Leader Prospective) et Stephen Perin (Consultant Senior) ont démarré la matinée avec une présentation des principes majeurs de ces géants du web autour de trois axes, respectivement : plus grand, plus vite et plus efficace. La vidéo de leur présentation est disponible en ligne.

Ils ont tous les trois contribué au livre qui comporte une vingtaine de pratiques mises en oeuvre par ces organisations. Lean Start-up, Feature Teams, Minimal Viable Product, Open API, Mesures, Test A/B … l’ensemble des 21 pratiques (10 seulement présentées durant la matinée) est organisé dans le livre autour de 4 catégories : culture (un sujet au coeur de ce blog), organisation, pratiques, et architecture.

Un ouvrage remarquable disais-je en ouverture en ce qu’il propose une synthèse complète, vulgarisatrice et très pertinente sur toutes ces manières de faire spécifiques de ces géants du web, manières de faire qui transforment profondément le monde de l’IT et, plus globalement, nos sociétés – ce dernier point faisant partie intégrante du Why d’Octo.

Si chaque sujet est traité en quelques pages (2 ou 3 pour la plupart) ils le sont avec une structure identique. La dernière section (Et chez moi ?) s’avérant particulièrement pratique et actionnable. Pour ceux qui le souhaitent, chacun des chapitres regorge de références multiples pour approfondir le sujet. Un ouvrage que l’on peut (doit) donc mettre dans les mains de son PDG comme de ses architectes et ou développeurs.

Feature Teams

Les Feature Teams ont pour objet d’inclure dans l’équipe toutes les compétences nécessaires à la réalisation du projet afin que l’équipe soit le plus autonome et le moins exposée à des décisions extérieures.

Semble tomber sous le sens mais n’est pourtant pas si facile à mettre en oeuvre. Meetic rapporte ainsi :

Si nous sommes vus comme une start-up, en interne nous demeurons une organisation fonctionnelle standard avec un management plutôt directif. Nous avons ainsi rencontré des problématiques transverses lors de la mise en oeuvre des Feature Teams.

Viadeo a reporté avoir constaté une amélioration sensible dans la livraison de projets pour lesquels il y avait une War Room dans laquelle toutes les personnes impliquées étaient co-localisées. La mise en oeuvre de la solution mobile en est un exemple.

Obsession de la mesure

L’obsession de la mesure, est un principe de base de ces acteurs du web qui se sont appropriés cette maxime de W. Edwards Deming (“In God we trust, all others must bring data”). Au Monde.fr cela suscite quelques réticences en particulier auprès des journalistes qui sont des experts sur leurs sujets et identifient cette obsession de la mesure à une procédure remettant en cause leur expertise.

Gestion des Talents

Les géants du web sont souvent dirigés par des développeurs : Page et Brin chez Google, Zuckerberg à Facebook, Jack Dorsey à Twitter … Aussi, le développeur n’y est pas vu comme un ouvrier du code surveillé par son manager mais comme un acteur essentiel de l’entreprise, la ressource clef qui va apporter l’innovation et la création de valeur. Chez Facebook par exemple, des développeurs seniors comptent parmi les plus haut salaires.

Il s’agit d’un point essentiel selon Viadeo :

“Il faut penser l’organisation à l’envers car le développeur est celui qui sait le mieux ce qu’est le développement et il doit déléguer tout le reste au manager. Nous (managers) sommes les principaux obstacles à la prise de décision rapide et à l’innovation. (…) Nos développeurs sont ainsi encouragés à participer à des projets Open Source.”

Pour Meetic cette gestion des talents est compliquée car il n’y a pas beaucoup de géants du web en France et donc peu d’experts. Ils préfèrent recruter de forts potentiels et les accompagner pour les faire progresser. Par ailleurs ils constatent une rupture générationnelle : “Si vous n’êtes pas capables de créer un environnement fun, les Generation Y ne vont venir qu’à reculons”.

Tous s’accordent sur la dimension ludique et créative qu’il convient d’entretenir. Chez Meetic on organise des challenges internes avec 3 paires de dévelopeurs lancés en parrallèle sur des problématiques particulières : la meilleure solution est choisie. Chez CDiscount, ce peut être l’organisation de Tech Battles ou encore s’assurer en permanence qu’il y a des projets innovants et sexys à proposer aux équipes (Mobile, Big Data …). Chez Viadeo ce sont les Hack Days où là encore des équipes de développeurs se penchent sur des problématiques communes. Cela contribue à la fierté d’appartenance.

Pour le recrutement, nos geants du web français privilégient les tests de programmation, la visibilité sur les réseaux ou la contribution au développement de solution open-sources, aux diplômes. Ainsi au Monde.fr “Nos 2 meilleurs développeurs sont autodidactes, ils ont un sens de la qualité et une capacité d’abstraction qui en font de bien meilleurs développeurs que des Bac +5 standards”.

Ouverture et Open Api

Le principe de l’Open API consiste à développer et exposer des services utilisables par des tiers sans avoir d’idée préconçue sur l’usage qui en sera fait (citation du livre)

Cette API ouverte est un exemple de cette culture de l’ouverture et de l’abondance comme le qualifie Jean Marc Potdevin de Viadeo. Et de rajouter

Il s’agit moins d’une dichotomie France / US que d’une dichotomie Start-Up / organisation standard. Dans cette économie je ne gagne pas si je cache ou dissimule le fruit de mes recherches, mais je gagne si je cours plus vite. L’ouverture crée plus d’opportunités qu’elle ne cause de problèmes de sécurité.

Choc Culturel

N’en demeure pas moins un choc de cultures important. Dans notre pays où l’informatique sert le métier, en étant considéré comme un mal nécessaire ou un centre de coût, voir arriver des méthodes et pratiques d’organisations pilotées par des informaticiens-roi que toute l’organisation doit servir car c’est eux qui créent la richesse, voilà qui est particulièrement inconfortable.

Ainsi Lemonde.fr rappelle que dans le rapport sur la compétitivité de M. Gallois le mot internet ne figure qu’une seule fois. On parle de subvention à la presse mais cette subvention ne s’adresse qu’à la presse papier, pas à sa facette numérique qui est pourtant aujourd’hui l’axe de croissance majeur du journal. Une différence majeure avec les US où 2 des 3 contributeurs majeurs d’Obama en 2012 sont des entreprises IT. On pourra ensuite s’étonner que le logiciel dévore le monde depuis les états-unis.

Comment lancer ces initiatives ?

Au Monde.fr cette initiative a été lancée en démarrant avec les tests automatisés et l’intégration continue car les tests et la qualité logicielle sont indispensables pour entrer dans cette démarche. Toutefois l’entreprise est difficile : il s’agit de conduite du changement et de rupture par rapport au confort habituel. Cela requiert de l’énergie, de la persévérance et de la motivation.

Pour CDiscount, les tests A/B sont un excellent point de départ en ce qu’ils sont faciles à mettre en oeuvre, permettent d’obtenir rapidement des résultats et d’inculquer un peu cette approche de pilotage de produits par les données. Les Feature Teams sont aussi de bonnes candidates en ce qu’elles permettent des résultats visibles et rapides où, là encore, le changement culturel est mis en oeuvre.

Pour Meetic la notion de Pizza Teams (petites équipes) est un bon principe pour démarrer. Ainsi que la pratique du One On One, pratique de management décrite dans un autre ouvrage collaboratif Octo discuté sur ce blog (Partageons ce qui nous départage).

Pour Viadeo le point essentiel a été de fluidifier la chaîne de décision pour permettre aux équipes de décider rapidement : il vaut mieux se planter que ne rien décider.

Trois enseignements

1. En l’espace de 10 ans, ce que les développeurs appelaient alors avec enthousiasme (et les managers avec une certaine condescendance) la “culture start-up” s’est transformée en une série de pratiques organisationnelles, business et technologiques qui sont celles des plus grandes entreprises de logiciel public aujourd’hui. Nous parlons ici d’une innovation radicale liée à la culture organisationnelle, qui, à l’image de ce que décrit Clayton Christensen, est passé d’une position marginale à une part de marché considérable.

2. Les entreprises technologiques les plus performantes aujourd’hui sont dirigées par des informaticiens (Google, Facebook, Twitter) ou des visionnaires (Jeff Bezos ou le regretté Steve Jobs), et pas par des gestionnaires.

3. Ce sentiment très fort en écoutant la table ronde qu’aux US on fait des organisations pour pouvoir faire du business alors que chez-nous.fr on fait du business pour pouvoir faire des organisations.

Pour ceux qui auront manqué cette matinée, demeure l’ouvrage, essentiel pour mieux comprendre monde de l’IT et du business en ligne du 21ème siècle. Plutôt que se tenir sur leurs épaules, mettons en oeuvre leurs pratiques !

3 Comments

  1. Merci Yves ! Je viens de lire ton article qui est très éclairant. Il s’agit souvent d’un point de confusion pour les équipes. Je leur ai donc recommandé la lecture de ton billet.

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