Peter Gumbel est un ancien grand reporter de Time Magazine à Paris, élu journaliste de l’année par la Work Foundation. Après French Vertigo (en 2006), On achève bien les écoliers est le second livre dans lequel il pose son regard décalé sur la société française. Dans cet ouvrage, l’auteur, qui apprécie ce pays dans lequel il vit et y a scolarisé ses deux filles, se pose un certain nombre de questions sur notre système éducatif.
Il s’agit d’un essai extrêmement bien documenté (interviews, recherche etc …) qui intéresse tout particulièrement #hypertextual pour un point précis : le questionnement sur la capacité de l’éducation nationale à inspirer nos enfants et leur permettre de s’épanouir durant leur scolarité et développer leur créativité. On y trouve des pistes assez instructives ..
Anxiogène et impitoyable
Les résultats des différentes études PISA de ces dix dernières années sur lesquelles s’arrête Gumbel sont assez éloquents.
Ainsi, les élèves français estiment que leurs professeurs ne les soutiennent pas. A la question “A quelle fréquence les professeurs aident-ils les élèves” 16 % des écoliers français répondent Jamais. Le chiffre est de 3,6% en Finlande et de moins de 2% en Grande Bretagne. Voila un bien étrange système éducatif.
De la même manière, plus que dans de très nombreux autres pays, l’école est perçue comme terriblement anxiogène dans notre pays où 75% des élèves s’inquiètent d’avoir de mauvaises notes en mathématiques.
Enfin les écoliers français pensent qu’ils sont nuls même lorsqu’ils sont bons. Cette même étude montre ainsi que nos enfants de 10 ans lisent aussi bien que la plupart des enfants européens mais considèrent qu’ils ont le même niveau de lecture que les enfants du tiers monde.
Gumbel porte un jugement assez peu complaisant sur notre système éducatif et la dictature de la salle de classe : une culture impitoyable, parfois humiliante, qui a sacralisé des évaluations mettant les élèves sous pression, tout en traitant sans ménagement la notion de motivation individuelle. Une culture de l’excellence, certes, mais qui enfonce aussi les élèves les plus faibles plutôt que les aider à se relever.”
Et cela pour un résultat décevant. Ainsi la France ne classe que 3,5% de ses élèves au niveau excellent en mathématiques, alors qu’ils sont plus de deux fois plus nombreux en Belgique, Suisse ou Pays-Bas. Et 17% des jeunes français sont classés au niveau le plus bas, deux fois plus que les Finlandais. Pour une faible minorité d’excellents, “élevés à la dure” (qui feront de médiocres managers) nous obtenons un pourcentage élevé d’élèves très faibles. S’agit-il là d’un équilibre sain pour notre jeunesse ? Je n’en suis pas certain …
Tolérance aux erreurs …
Le plus grave ici est ce qui concerne la tolérance à l’erreur. L’enquête PISA montre ainsi que, plus que les autres, les élèves français sont terrorisés à l’idée de faire des erreurs. Un constat analysé ainsi par un chercheur dans un article de la revue Futuribles :
Cela traduit-il un comportement particulier vis-à-vis de l’incertitude, une crainte d’être hors sujet ? Ou une véritable faiblesse à quitter les sentiers battus et à développer des réponses et des raisonnements originaux ? Ces comportements pourraient-ils être le produit d’une approche pédagogique plus magistrale, plus scolaire qu’en Finlande ou au Canada ?
Gumbel rappelle ainsi que chez nous
le hors-sujet est perçu comme un péché capital un acte d’extrême nullité automatiquement sanctionné et même sévèrement par des générations de profs (…) symptomatique d’un système où les enfants sont conditionnés pour la fermer plutôt qu’à exprimer ce qu’ils pensent par peur de se tromper. Un système qui promeut l’effacement de soi au détriment du sens de l’initiative et de la curiosité intellectuelle.
Dans cette présentation à TED, Sir Ken Robinson se demande si l’école détruit la créativité en se posant la même question :
Ce que nous savons : se tromper n’est pas être créatif. Mais si l’on n’accepte pas de pouvoir se tromper, on ne crée jamais rien d’original. (…) Lorsqu’ils deviennent adultes, les enfants ont perdu cette capacité. Nous stigmatisons les erreurs. Dans notre système éducatif, les erreurs sont les pires choses que nous puissions faire. Le résultat est que nous éduquons les enfants en les éloignant de leur capacité à être créatifs.
On constate donc ici une tendance générale démultipliée par notre système éducatif.
… et capacité d’innovation
Dans un grand nombre d’ouvrages, on retrouve une corrélation étroite dans les organisations où les erreurs sont tolérées et la capacité d’innovation des organisations. Ainsi dans The Future of Management, Gary Hamel parle de la culture High Trust / Low Fear comme contexte favorable à l’émergence de l’innovation. Dans Myths of Innovation, Scott Berkun rappelle cette citation de William Mc Knight le CEO de 3M :
Un management qui critique de façon destructive lorsque des erreurs sont commises tue l’initiative. Et il est essentiel que nous ayons beaucoup de gens avec de l’initiative si nous voulons continuer à croître.
On m’objectera que le professeur n’est pas pas un manager et que les deux contextes ne sont pas forcément comparables. N’en demeure pas moins que pour l’écolier, l’enseignant incarne le savoir et c’est lui qui sanctionne l’assimilation de connaissance : ses directives et jugements sont critiques dans la relation de l’individu avec son sens de l’initiative.
Rapport sur l’innovation
Dans leur Rapport sur l’Innovation commandité par le gouvernement, Delphine Manceau et Pascal Morand de l’ESCP s’appuient sur le classement Business Week / BCG des entreprises les plus innovantes, et constatent qu’aucune entreprise française n’y figure.
J’ai beaucoup de mal à ne pas faire de relation directe entre d’une part ce système éducatif que des études internationales montrent comme plutôt répressif et conformiste et, d’autre parts, les résultats décevants de nos entreprises dans le domaine de l’innovation. La question est celle-ci : comment pouvons-nous innover avec des diplômés qui ont été éduqués dans une culture de la terreur de l’erreur et du frein à l’initiative ?
S’il s’agit d’un problème général comme le souligne Ken Robinson, il s’agit d’un problème particulièrement développé en France comme en atteste l’ouvrage de Gumbel, un problème majeur dans un monde où la capacité d’innovation est la source essentielle de création de richesses.
I hope you’ll excuse me for writing in English on this site. I am an English language teacher who has been close to French education for many years. Peter Gumbel’s book ‘On achève bien les écoliers’ reflected my feelings about the French system, even though my own children went through it and did very well. I am now seeing my grandchildren in ‘maternelle’ and primary school and I feel sorry that a generation later there has been little change, that there is still a lack of creativity and that it’s still very much a system for the children who ‘do well’.
I have read a great deal of support for this book, but have not seen any comments against it. Did anyone or any group come out in protest ?
I’d be interested in seeing the French point of vue.
Hello Irene,
Thanks very much for your comment. This is a very interesting question actually. From what I can tell based on my conversation around thetopic with french friends, most of them tend to agree. But you know, the system is what it is and there’s only so much you can do. The example of the school director who wanted to implement methods he witnessed in Finland is a great example of the resistance of the people to change anything.
But the saddest thing is that few people have read it, and fewer have talked about this book. I guess the education nationale immune system has choosen the best defense : to ignore the book and not even mention it. As Gumbel says, in our country, school is an obsession where ideological views fight against each other. In these great debates, few people try to take the perspective of the kids. This is so sad.
My son is 12 and in 6ème (I dont know what the equivalent is in England). He has had 16.80/20 and 16.90/20 as average (very good marks, I never manage to get in my entire school time) during the first two quarters. The comment is : “He should do better to tend toward excellence”. No praise or anything. Stupid bureaucracy.
Bonjour,
Heureusement de nombreux profs mettent en oeuvre une pedagogie différenciée au service des élèves et font preuve d’une grande bienveillance envers les enfants. Utiliser des méthodes de valorisation de la créativité des enfants, en partant de ce qu’ils savent déjà, partir des erreurs qui permettent d’avancer et de mieux cerner les raisonnements pour prévenir les raisonnements erronés –> cela existe dans nombre de classes mettant en oeuvre des pédagogies actives.
L’évaluation notée n’est presque plus utilisée dans le premier degré.
Un des problèmes c’est aussi que l’institution impose une grande pression aux profs vis à vis des programmes.
Ceci dit ce sujet est très intéressant mais méfions nous des conclusions trop rapide, je pense qu’il y a autant de pédagogies que de professeurs !!!
Je suis friande de podcast comme School Sucks Project et l’idée voulant que le système d’éducation détruit la créativité est sans aucune surprise très présente. Moi-même, qui vient juste de quitter l’université, j’en ai ressenti les effets et j’essaie depuis de me ”réhabiliter”. Vivant au Québec, j’ai tendance à me tourner davantage vers le contenu américain que européen. Merci de me faire découvrir ce livre et, par le fait même, ce nouveau point de vue.