Processus Forts, Culture Faible

(Photo : Théâtre de Chelles)

(In English)

Excellent article, comme à son habitude, de Bertrand Duperrin, sur la nécessité d’avoir un socle de processus forts dans l’organisation pour mettre en oeuvre des Réseaux Sociaux d’Entreprise (RSE) et bénéficier de la valeur qu’apportent ces nouveaux outils.

Et comme d’habitude, je ne suis qu’à moitié convaincu. Car ce qui m’ennuie dans la mise en avant des processus c’est que l’on sanctifie un objet institutionnel figé (le processus) plutôt qu’une culture, à savoir la réflexion systématique et les changements permanents nécessaires à l’amélioration continue de l’organisation.

L’approche Lean est très éclairante à ce sujet comme le montre Yves Caseau dans son livre. Ma compréhension est que les multiples essais et approximations successives qui permettent d’avoir une amélioration continue dans une vision globale (le System Thinking du Lean) apportent bien plus de valeur aux organisations que des prescriptions appliquées aveuglément par des managers devenus Tayloriens en raison de la réduction de leur rôle à cette dimension d’agent de maîtrise.

Alignement par processus

Par ailleurs les processus présentent une limitation en ce qu’ils encouragent ce que Built to Last de Jim Collins, ou l’essai Leading by Leveraging Culture de la Harvard Business Review, appellent une culture faible. Le présupposé est que les équipes ne sont pas suffisamment alignées avec la stratégie de l’entreprise ; il est donc nécessaire de mettre en place des processus directifs et prescriptifs qui vont s’assurer que ces mêmes équipes le deviennent.

Non seulement ces processus incarnent ce que Thierry de Baillon appelle la “Taylorisation de la connaissance” mais de plus, à travers leur incarnation dans des progiciels d’une complexité et d’un coût ahurissants (et la sanctification subséquente), ils suppriment tout espace d’amélioration et incitent les équipes à contenir toute initiative pour les améliorer : c’est un cercle vicieux qui auto-alimente cette culture faible.

Auto-Alignement

Dans une culture forte on a moins besoin de processus forts. On sait que les équipes sont alignées et sont en capacité de mettre en oeuvre les processus / outils / automatisation nécessaires pour accomplir leur tâche et contribuer à la réalisation des objectifs de l’organisation. Les processus sont alors bottom-up, ils viennent des lignes opérationnelles qui les ont éprouvés avec succès, comme dans la culture Lean. Un point sur lequel on retrouve Scott Berkun dans sa position sur les RSE.

Un exemple frappant : chez Zara, dans le monde incroyablement exigeant du Fast Fashion où le quotidien est la réalisation de centaines de nouveaux produits dans une contrainte de time-to-market hystérique, il n’y a pas d’ERP ! Ils ne souhaitent pas figer leur processus dans un système qui rendrait l’évolution de ceux-ci beaucoup trop complexe.

Prescription et culture

De mon expérience dans la gestion de projets informatiques, j’observe que plus une méthode est prescriptive et plus elle incarne et auto-alimente une culture faible. Exemple : PMI, RUP ou CMMI.

A contrario, moins une méthode est prescriptive et plus elle encourage l’initiative, une participation fructueuse et une culture forte. Exemple : les méthodes Agile ou le Lean. L’excuse consistant à prétendre que les processus sont nécessaires car les équipes ne sont pas alignées donnent à mon sens bien plus d’indications sur le manque de leadership des équipes dirigeantes que sur le prétendu manque de professionnalisme des équipes opérationnelles.

Culture eats processes

En résumé, mon point de vue est que l’entreprise de demain a besoin d’une culture forte bien plus que de processus forts. C’est de cette culture forte que naîtra au niveau des équipes opérationnelles ce soucis d’amélioration permanente qui permettra de faire évoluer les processus dans un but d’optimisation globale de l’organisation.

La sanctification des processus en tant qu’objets institutionnels aura tendance à favoriser une approche top-down, un caractère immuable et démotivant ainsi que des sous-optimisations dans le soucis de l’application aveugle de ces processus.

Pour paraphraser l’immense Peter Drucker : “Culture eats processes for breakfast”.

Que l’année 2012 soit une année de culture forte pour tous !

20 Comments

  1. Tout à fait d’accord. Un mauvais processus peut être une source terrible d’inefficacité tandis qu’un bon processus ne devrait dans l’idéal “que” traduire, faciliter et promouvoir un mode optimal (à l’instant T) d’organisation et de répartition des rôles.
    Dans la même logique, j’aime bien la notion d’organisation apprenante, qui ré-humanise l’objectif de perfection du Lean.

  2. Je suis un peu moins convaincu, car la question reste pendante et il ne suffit probablement pas d’invoquer le besoin d’une culture forte et de “jeter aux orties” les processus pour que les choses changent.
    Pour ma part, et pour une fois, je serai un peu plus consensuel et je pense que les processus (hors excès justement décris par Thierry de Baillon) peuvent permettre à une culture d’entreprise de se développer.
    Les processus font maintenant partie de toute infrastructure d’entreprise et il serait probablemement plus efficace et plus pragmatique de d’appuyer dessus pour faciliter les apprentissages et exécuter les tâches peu valorisantes afin de permettre à une culture d’entreprise d’éclore.
    Reste que toute culture d’entreprise a besoin d’une vision, de leaders qui portent cette vision et de TEMPS!!!
    Et ce n’est pas tant Culture versus Processus mais également une question d’échéances propres à chacun (actionnaire, C-level, cadre, techicien, etc.) et le rythme qu’elles peuvent parfois nous imposer.
    Enfin, je suis d’accord pour une culture forte en 2012 servie par des processus utiles, pertinents et respectueux de l’organisation sociale.
    Merci et bonne année !

  3. Oui et non…. je pense que les deux doivent et peuvent aller ensemble. Processus ou culture ? Et pourquoi pas processus et culture ?

    De plus un processus peut être flexible à l’extrême. Ca n’est pas parce qu’on a voulu en faire des coquilles rigides que c’est la seule voie possible.

    J’ajouterai que dans nombre de métiers la question ne se pose même pas. Va regarder comment fonctionne une centrale nucléaire par exemple. Ca n’est pas parce qu’on a passé 30 ans à formaliser des processus contre productifs et strupides que certains ne sont pas vitaux.

    Il faut donc s’appuyer sur les deux. En tout cas à mon avis. Mais moins l’individu aura à se préoccuper de tâches où sa valeur ajoutée est faible plus il aura du temps pour celles où elle est forte. C’était notamment le sens de ce billet et on en voit des exemples tous les jours. Le temps nécessaire à la collaboration, l’apprentissage, la créativité, à l’échange, se prend sur du temps gagné sur du répétitif routinier. D’où l’utilisé de formaliser, mettre en facteur, automatiser tout ce qui peut l’être et n’est pas discuté pour libérer du temps pour le reste.

    Un dernier point qui va dans le sens d’une utilisation conjointe des deux leviers. Quand une entreprise nait on peut la construire selon la culture qu’on veut lui insuffler. Quand tu te retrouves avec un groupe de 100 000 personnes qui a plus d’un siècle c’est plus compliqué. Il faut du sang neuf pour incarner des idées neuves, de procesuss qui vont dans le sens des choses pour montrer où se situe le centre de gravité désormais. Il faut alors avancer sur les deux points conjointement (cf “les salariés d’abord les clients ensuite”). Un pas d’un coté, un pas de l’autre.

  4. Vincent, quel plaisir de te lire. Merci pour ton commentaire et bonne année !

    Claude, Bertrand, je ne suis pas en train de dire que les processus c’est sale et qu’il faut les éliminer. Je dis juste qu’il s’agit de sujets d’ordre 2 comme dirait Pierre Pezziardi. Le sujet d’ordre 1 est la productivité de l’organisation et l’amélioration continue de celle-ci.

    Le problème c’est qu’à travers une perspective centrée sur ce sujet d’ordre 2 on tend à perdre de vue le problème d’ordre 1. Par ailleurs, dès lors que ces processus sont mis en oeuvre dans des S.I ultra complexes et coûteux, leur évolution devient extrêmement difficile et coûteuse : ils se retrouvent donc figés. D’où l’approche Zara qui me semble extrêmement éclairante et riche d’enseignements.

    Enfin, un point important qui est cité par Axyome dans le fil de discussion et théorisé par Matthew Crawford dans l’éloge du carburateur : à travers ces processus figés et top down, “un degré extraordinaire d’ingéniosité a été mis au service de l’élimination de l’ingéniosité humaine”.

  5. Je rejoins assez Bertrand. Et c’est d’ailleurs la réflexion que j’ai faite sur Twitter, alors que je n’avais pas (encore) lu ni son billet, ni celui-ci.

    Ce n’est pas “culture ou process”, mais plutôt “culture+process”

    Pour moi, la culture est fondamentale, elle est le socle sur lequel se bâtira l’entreprise, mais aussi le phare qui aide à prendre des décisions.

    Le processus, lui, donne aux employés des guidelines sur l’ordre dans laquelle une info doit être traitée afin d’être efficace et de ne pas réinventer la roue à chaque fois. Il est évident que ce process ne peut pas être quelque chose de figé: il doit régulièrement (ou mieux, constamment) être revu et corrigé.

    La procédure ne sera qu’une description plus détaillée, plus formelle du process.

    En tout ca, c’est ma vision des choses …

  6. C’est justement le problème de “l’instant T” qui me dérange dans les processus… Ils transcrivent soit ce qui à été fait (et c’est trop tard!) soit ce qui aurait du être fait (et c’est à coté de la plaque). Les processus sont bons pour être réécris à chaque fois qu’on en a besoin… j’exagère un peu mais la le problème de la réalité est là. Alors que la culture est un état d’esprit, un reflex.
    La meilleur solution reste d’avoir un peu des deux mais surtout pas trop!

  7. Ca se tient largement. Ma crainte est que tout le monde parte de cas à la Zappos, à la 37 signals et s’imagine que le monde entier peut être comme ça. Le monde n’est pas uniquement fait d’entreprises et de gens qui manipulent des idées, réfléchissent, résolvent des problèmes et prennent des décisions haute vitesse. Ou pas que. Et que cela s’articule avec des activités à forte structuration.

    Je parlais il y a peu avec des gens qui sont dans l’électricité et le transport par rail. Non seulement je comprend qu’ils aient des processus forts et contraignants coté sécurité…mais en plus que la culture d’entreprise soit surfocalisée sur ce point…à tel point qu’on leur reproche parfois de ne pas assez penser client. Mais “security first”.
    Pour voyager assez souvent j’apprécide de savoir que le gars aux commandes de l’avion, celui qui le guide au contrôle aérien et ceux qui ont révisé l’appareil suivent des process forst et innovent très peu. Si si…

    Par contre le challenge est de faire coexister dans ces structurures le temps de l’entreprise (long et fortement structuré) et celui de l’individu (plus court et créatif).

    Tiens d’ailleurs, pour revenir à Zappos….même si je dis souvent que “tout le monde n’a pas la chance de ne vendre que des chaussures en ligne”, je ne serai pas surpris qu’une des raisons pour lesquelles il sont si bon pour “vendre du bonheur” et réagir vite aux soucis des clients, c’est des processus hyper performants qui réduisent les écarts et permettent aux salariés de ne se concentrer qu’aux petits soucis des clients.

  8. +1 pour Bertrand et son “analyse” du cas (phénomène?) Zappos!
    Je pense qu’il est proche de la réalité (reminder : Amazon dans les annés 2000: culture vs processus OU culture + processus au service d’un modèle innovant ?)

  9. Merci Bertrand! ;o)

    Zappos, Zara, 37 Signals,… sont des exemples inspirants …

    Mais allez un peu faire un tour dans une PME de >100~200 personnes, avec des ouvriers, un service clientele, un SAV, … je vous promets que vous retomberez de haut … ;o)

    La plupart de gens qui y travaillent ne veulent pas du pouvoir de prendre des décisions, ou des responsabilités que leur amènerait une culture telle que celle des boites citées ci-dessus … ils veulent un chèque en fin de mois … Et si on ne leur dit pas comment ils doivent faire les choses (process), les choses se feront dans un ordre chaotique peu efficace et rentable …

  10. Je suis personnellement convaincue sur la base de mes expériences en entreprises et en tant que consultante que l’approche par les processus contribue à renforcer la culture d’entreprise, et notamment la dimension agile, et à la faire évoluer en parallèle.

    SI l’approche de l’organisation par les processus est conduite en logique participative et SI elle intègre une dimension RH et managériale forte, conditions indispensables de mon point de vue,
    elle favorise certes l’optimisation des activités mais aussi l’optimisation effective des postes de travail souhaitée par les salariés (telle que décrite par Bertrand et qui est sans aucun doute un objectif idéal à atteindre), elle renforce aussi la compréhension par tous des finalités et des fonctionnements Business de l’entreprise, chacun pouvant plus aisément inscrire ses propres actions au sein du système…

    Ce fonctionnement co-construit et cette compréhension partagée alimente à leur tour les composantes d’une culture d’entreprise (qui mériterait à elle seule un article…) qui se modèle au gré des enjeux, objectifs et choix stratégiques, par des éléments internes et externes.
    Une culture d’entreprise forte qui facilite l’alignement stratégique et l’amélioration opérationnelle continue me semble se construire et s’acquérir notamment à l’occasion de ces projets participatifs centrés sur les processus tant pour les équipes que pour les managers, une sorte d’apprentissage learning by doing qu’on peut reproduire ensuite sur des périmètres moindres, à condition toutefois de les accompagner dans la durée et de ne pas faire du one shot à l’occasion d’un projet de SI… cf. l’entreprise apprenante…

    Merci à vous pour cet échange d’idées, d’expériences et de références sur ce sujet.

  11. Bertrand, mes références pour le coup sont bien plus sur le Lean. On pourrait citer Toyota ou Porsche mais puisque tu aimes l’industrie des transports, parlons de Pratt & Whitney qui a mis en oeuvre une démarche Lean durant les années 90 alors que l’organisation était au bord du gouffre.

    Une des mesures les plus difficiles a faire passer a été de se débarrasser d’une machine énorme qui coûtait plusieurs dizaine de millions de dollars et qui avait été achetée pour accélérer et automatiser le processus de taille des ailettes des moteurs.Lorsque les Sensei après analyse et élaboration de la VSM ont dit à la direction que cette machine qui incarnait la stratégie du tout automatisé et qui gagnait quelques optimisations sur un point donné de la chaine coûtait en fait une fortune à l’entreprise tout en la ralentissant de façon spectaculaire lorsqu’on regardait le processus de bout en bout (et en démotivant les équipes qui avaient un scope réduit d’intervention) ça a fait mal aux cadres qui l’avait mis en place. En remplaçant cette machine tout automatisée par plusieurs plus petite nécessitant plus d’actions manuelles, le processus global a été considérablement accéléré et le coût a aussi été réduit.

    Pour moi c’est tout a fait représentatif d’un grand nombre de processus incarnés par des SI complexe et coûteux : optimisation locale, stratégie top down du tout automatisé et au final, sur le processus de bout en bout, une perte de temps, sans compter la démotivation des équipes.

    Des processus que les équipes opérationnelles peuvent s’approprier et faire évoluer dans un soucis d’amélioration continue > oui. Lean is in da house.

    Des processus sanctifiés, identifié à une stratégie, imposés par des directions qui ne sont pas au contact du terrain et figés dans des SI coûteux et complexes pour une valeur ajoutée discutable sur la chaîne de bout en bout > beaucoup moins oui.

    Xavier tu as raison. Tiens prenons l’exemple de FAVI ou des clôtures Lippi. Je ne partage pas ton point de vue. Je pense que les gens veulent faire sens de leur contribution dans les organisations, petites ou grandes.

  12. Euhh. Prenez des employés pour des enfants, ils se comporteront comme des enfants. C’est donc la culture “papa te dit quoi faire” (avec des processus /figés/ par exemple) qui dominera. Vous semblez chercher un consensus culture vs processus, mais dans une organisation à culture autonome forte (ex Toyota ou Volvo) il existe des process formalisés effectivement ! Seulement le but de tout le monde ce n’est pas de les respecter (ordre 2), c’est de trouver eventuellement mieux pour satisfaire les clients (ordre 1) ! Dans une culture à papa, le but est de respecter les process, les enfants sont focalisés sur des problèmes d’ordre 2 .. Et là souvenez vous de ces moments au restaurant (le steak tout seul c’est pas possible), au téléphone avec une administration (ah non, il faut que vous me renvoyez tout le dossie..r), et tous ces moments irritants face à la bureaucratie …Et comme vous aimez ça : http://ppezziardi.wordpress.com/2011/12/23/tous-bureaucrates-featuring-benoit-poelvoorde-un-manifeste-pour-les-middle-managers/

    😉

  13. Cecil : évidemment tu prend le meilleur exemple. Car le le LEAN c’est la co-construction de la culture et des processus. Bizarrement ça marche.

    Par contre je rejoins Xavier sur certains points : je ne suis pas sur, au quotidien, que 100% des collaborateurs désirent un système plus responsabilisant. La preuve : des Semco, Hervé ou autre Morning Star où la culture, forte, est mise au service d’une vision intelligente du processus, reconnaissent que tout le monde ne peut pas travailler chez eux.

    Alors bien sur, c’est la question de la poule et de l’oeuf. Le salarié est il désengagé ou s’est il désengagé par la faute de l’entreprise ? Responsabilités partagées sembe-t-il mais la frénésie procédurale appliquée mal à propos a sa part de responsabilité.

    Mais on en revient à la grande méprise selon laquelle processus = top down, figé et contre productif. Comme l’explique très bien Cazeau, il faut mettre de l’agilité dans le processus pour le rendre pilotage et efficace. Moins devient alors synonyme de mieux. Le processus est un moyen, pas une finalité. La culture également, d’ailleurs.

    Pour en revenir au sens de mon billet j’ai vu un cas dernièrement où l’analyse du désengagement du collaborateur dans tout ce qui était mis en place pour leur faciliter la vie, pour leur permettre de, justement, sortir de modèles inadaptés était….le fait que beaucoup de choses n’étaient pas organisées, documentées, et que ça leur bouffait un temps et une énergie folle à chaque fois qu’il fallait traiter un cas. Donc pas le temps ni l’énergie pour se libérer. Conclusion : 1°) recréer des processus rassurants, stables, un “plus petit dénominateur commun” en les associant tous, pour gérer le fatras quotidien. 2°) Ensuite faire sauter les contraintes inappropriées et mettre des points de flexibilité dans les process qui existaient mais étaient contre productifs.
    Ah…point ironique. Au départ était un besoin de changement culturel qui ne “prenait pas”. Par manque de temps pour changer, on l’a vu, mais aussi par manque de cohérence car les “règles” disaient l’inverse du message. En devenant plus souples les processus ont contribué à incarner le message et le crédibiliser. Ils n’étaient plus un frein à la volonté d’avancer et donc, paradoxalement, ils sont devenus un levier au service de la culture.

    Pour terminer je citerai ce bon vieux Antoine Riboud : “Les entreprises les plus performantes sont celles qui pensent solidairement le changement technologique, le contenu du travail et le changement des rapports sociaux internes à l’entreprise”. Je ne pense pas que l’un prime sur l’autre, la réussite est dans la co-évolution de ces points et le besoin d’un juste équilibre. Cesser de raisonner avec des “Ou” mais avec des “Et”.

  14. Passionnante discussion…
    A quoi servent les processus ?

    Ma réponse n’est pas déresponsabilisation ou augmentation ad libitum de la productivité (soyons sérieux, nous sommes déjà champions en ce domaine, alors quel serait le besoin, si ce n’est une recherche désuète de la part du management d’augmenter de façon illusoire le contrôle sur les employés), mais cadrage, voire normalisation, des interactions dans une société qui a une sainte horreur du risque (un inconscient collectif qui d’ailleurs se propage aux employés des entreprises, les exemples de Bertrand le prouvent, au moins indirectement).

    Nous sommes de plus en plus façonnés par l’IT, y compris par son expression la plus “conviviale” que constituent nos tablettes, smartphones, etc, et nous avons tendance à oublier qu’interagir avec une machine n’est pas la même chose qu’interagir avec un être humain. En tous cas, c’est une distinction que personne ici ne semble faire. Interactions machine-machine, machine-homme, et homme-homme. Le premier cas a énormément bénéficié de la montée en puissance des processus; il en dépend même.
    Par contre, est-il simplement aujourd’hui pensable de continuer à espérer donner un cadre crédibles aux interactions avec, ou pire, entre, êtres humains ? Pierre parle de rapports parent-enfant comme d’un rapport formalisant. Je suis bien sûr d’accord avec lui, mais allons plus loin un instant… Et là, seuls ceux qui ont déjà donné à manger à un enfant de huit mois comprendront VRAIMENT 😉 Aucun processus ne peut rationaliser ou optimiser ce genre d’interaction. En un mot comme en cent, it’s a mess.

    A ce stade, les processus, y compris la version assouplie et infiniment flexible qu’en donne l’Adoptive Case Management, ne sont pas seulement d’aucune utilité, ils entravent l’accomplissement des tâches. Et à l’intérieur d’une entreprise, ils y a tellement de cas qui se résument à ce type d’interaction entre êtres humains, qu’il s’agisse de résolution de problème ou de relations avec un client ou un fournisseur.

    Pardoxalement, je suis à la fois d’accord avec Cécil et avec Bertrand. Avec Cécil lorsqu’il écrit “plus une méthode est prescriptive et plus elle incarne et auto-alimente une culture faible”. Avec Bertrand lorqu’il dit “recréer des processus rassurants, stables, un “plus petit dénominateur commun” en les associant tous, pour gérer le fatras quotidien”. Mais à une seule condition: automatisons ce qui est automatisable (les interactions machine-machine), donnons un cadre souple aux relations homme-machine (ACM et Lean), mais par pitié, il est temps de reconnaître que les relations homme-homme relèvent de la gestion de la complexité, de la culture collective, et que symbolique et imaginaire sont toujours des leviers extraordinairement puissants. Ne vendons pas Mauss ou Levy-Strauss pour Riboud, parce que je pense que les premiers ont bien plus à nous apprendre sur les motivations d’un client et l’irrationalité intrinsèque de son comportement que le dernier.

    Bonne année à tous 🙂

  15. Intéressante discussion en effet, merci à tous.
    Mais il me semble moi aussi qu’on a tôt fait sur ce sujet de tourner autour d’un pot auquel pourtant chacun contribue. Le complexe cher à Morin ne doit pas nous échapper. Je me risque à une métaphore qui comme toujours vaut ce qu’elle vaut. Les processus sont pour l’entreprise de l’ordre du rite, dont toute communauté a besoin pour enrichir sa propre culture et donner à celle-ci du champ pour s’épanouir. Le processus est un socle sur lequel la culture peut pousser et sans lequel tout serait si meuble que plus rien ne saurait croître.
    L’exemple de Bertrand Duperrin est for parlant, quand il évoque les compagnies aériennes dont nous savons tous, pour prendre l’avion plus ou moins fréquemment, combien nous sommes attachés à ce qu’elles respectent des processus forts, garants de notre propre sécurité. J’attends d’une telle compagnie qu’elle me fasse voler à bon port, avant tout. Bien sûr, nous espérons que les processus évoluent, qu’ils collent au plus près à nos besoins et à leur évolution, ce qu’une culture forte saura faire, en assurant aux employés un environnement propice à leur motivation et leur capacité à innover, et évoluer. Et voler, comme faire voler, deviendra autrement plus plaisant. Mais l’un ne semble pas aller sans l’autre. La complexité se résume dans le « et », la conjonction de coordination qui nous met à l’abri de l’exclusion de facteurs coordonnés et qu’il ne faut pas opposer.
    Le processus est à la fois ce ferment, ce socle, mais aussi une bouée, à laquelle tout chacun est bien heureux de pouvoir s’accrocher quand il n’est pas en mesure, en devoir, ou en état de se laisser aller à la vibration que ne peut toujours lui procurer la « culture » de son entreprise. Nous ne sommes pas au quotidien tous des héros dans notre travail, mais aussi de bons petits soldats.
    Dernière métaphore : si le processus est le bateau qui nous permet de flotter durablement, la culture consiste à savoir qui s’embarque et pour quelle destination. J’ai besoin du bateau, sinon je coule, mais aussi des autres et d’une raison à l’embarquement, sinon je m’ennuie 😉
    Désolé pour mes élucubrations, et bonne année à tous.

  16. Bonjour Tremeur,

    Merci pour votre commentaire. Encore une fois je n’ai pas de problème avec le processus en tant que moyens. Ce qui me gêne c’est le processus en tant que finalité, incarnation de stratégie, objet institutionnel figé.

    Car au final de quoi parle-t-on ? D’éditeurs logiciels qui proposent aux entreprises d’automatiser ces processus dans des solutions extrêmement onéreuses. Etant si chères et incarnant tellement la stratégie de l’entreprise, ces outils sont bien évidemment choisis par la direction et imposés aux équipes dans un processus top down.

    Et de fait deviennent une finalité. Alors qu’il ne s’agit que d’objets d’ordre 2 comme le dit Pierre. Voilà ce qui me gêne.

    Merci encore de votre contribution.

  17. Je pense que l’exemple de l’aérien (voir le cas des crashs) ou du nucléaire (fukushima) sont des exemples apocalyptique qu’un processus ne peut exister sans culture ou intelligence. Le libre arbitre, l’intelligence humaine en contexte, son clefs.

    Le processus rigide de-responsabilise les participants en les ramenant à des états de machines à états finis et les démotive (voir les détruit). Le résultat: des catastrophes. Parfois juste pour des cas ou des évènements non prévues par les processus, parfois aussi (et de plus en plus) par peur.

    Oser indiquer qu’on risque un problème avec un processus donné relève du blasphème, voir pire vous fait voir comme un docteur Doom, un “anti” face aux Nantis du système en place. Les “bureaucrates” ont de l’avancement à l’ancienneté, en perpétuant la bureaucratie qui les fait vivre.

    Le processus rigide, sans échange ni dialogue, c’est la religion de l’entreprise qui à peur et se réfugie derriere un “ordre” rassurant. C’est le chemin vers le totalitarisme d’entreprise, puis, par la suite par mimétisme d’état.

    Le processus automatisé n’a pas d’ame, ne prend pas en compte le contexte, il est inflexible. L’exemple des radars fixes en France sur la route est d’ailleurs très interessant. L’intelligence et le GPS ont eu raison du processus, alors, l’état à interdit l’intelligence. On verra le résultat en 2012 …

    Plus que le processus, ce qui m’effraie c’est la culture de l’obéissance absolue au processus qui me fait peur. Se soumettre ou se démettre telle est la loi.

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