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En préambule à la Chaire des Numériques sur le thème du travail à l’ère du numérique, l’AEC Aquitaine qui organise l’évènement m’a sollicité pour un entretien.
Comme toujours, ce type de conférence est surtout l’occasion de faire plus ample connaissance avec des personnes remarquables.
A commencer par l’infatigable Laurent-Pierre Guillard dont l’implication dans le développement du numérique en Aquitaine est admirable. Quant à Serge Soudoplatoff, la truculence, l’érudition et l’optimisme des ses interventions ont illuminé cet evènement.
L’entretien accessible one click away …
Les bénéfices des outils collaboratifs, en terme de gestion des connaissances ne semblent plus à remettre en cause. Or, bon nombre d’entreprises (et leurs employés) semblent encore frileuses dans leurs procédures d’adoption de ces nouvelles technologies de communication. En quoi les habitudes culturelles françaises sont elles des freins ?
D’abord, cette approche n’implique pas seulement des outils collaboratifs mais aussi un changement profond dans notre relation au travail au sein d’une organisation. Or, il faut savoir que de tous les pays de l’OCDE, la France est celui pour lequel l’activité professionnelle joue le rôle le plus important dans la vie de ses citoyens tant en terme de construction identitaire que de révélateur de réussite sociale (accentué par l’organisation hiérarchique). Perdre son emploi devient ainsi synonyme de perte d’identité. Cela implique une réticence maladive à partager l’information dans le but de se rendre indispensable. Les nouvelles technologies de l’information sont basées sur une organisation qui bouscule leurs habitudes.
Dans le cadre d’une entreprise 2.0. : l’importance accordée à l’interlocuteur n’est plus proportionnelle à l’intitulé du poste mais à sa contribution objective. Le partage de l’information devient primordiale, n’étant plus vu comme un instrument de contrôle. Il n’y a pas non plus de grand architecte pour définir en amont la topologie de diffusion et échanges des informations : la communication et les préconisations viennent désormais des forces productives.
Justement sur ce point là, n’y a-t-il pas un fossé entre les objectifs collaboratifs de ces TIC et l’organisation hiérarchique encore très « verticalisée » ?
Je dirais même très conflictuelle. Historiquement, cela a un lien avec le syndicalisme. Les pays latins d’Europe dont la France, où les syndicats ont vu leur levée d’interdiction la plus tardive, sont aussi les pays pour lesquels on trouve les relations hiérarchiques les plus conflictuelles. Si cela n’explique pas tout, on comprend néanmoins mieux les difficultés à mettre en œuvre une culture de l’ouverture, du partage et de la transparence dans un climat conflictuel, au même titre que des difficultés à concevoir un rapport pacifique et constructif à travers les niveaux hiérarchiques.
Ces outils et particulièrement les plateformes collaboratives sont alors identifiés comme des outils de surveillance sur l’activité entrainant barrière à l’adoption et réticence au changement.
Ces propos nous ramènent donc à l’idée que les travailleurs français ne semblent pas prêts à faire confiance aux technologies numériques.
Ce n’est pas tant un manque de confiance aux technologies qu’en l’entreprise elle-même. La France est un pays où culturellement se perpétue une défiance permanente. On se méfie de ses concitoyens, des pouvoirs publics, du marché… Dans cette logique, la mise en œuvre d’un climat de confiance liée à la culture 2.0 de partage, d’ouverture et de transparence, pose des problèmes. Mêmes difficultés pour faire entendre aux DSI, que la religion de sécurité empêche moins des fuites vers la concurrence qu’une plus grande et plus fertile communication au sein des employés et entre les employés et le marché.
Dans ce cadre là, les détenteurs de connaissance n’ont-ils pas un rôle important de prescripteurs à jouer ?
Pour ce dernier point, ma perception est plus diffuse et renvoie à cette description de Jon Husband dans son essai Wirearchy qui rappelle comment depuis toujours dans les sociétés humaines l’exercice du pouvoir est passé par le contrôle de l’information. La France est une société qui a une tradition de formation des élites. Ainsi avons-nous une population qui est passée par des sacrifices et des efforts importants pour accéder à des statuts leur octroyant, si ce n’est l’exclusivité tout au moins la primauté à l’accès à la connaissance et à l’information.
On observe ainsi un manque de disposition de ces élites à accorder, si ce n’est du crédit, tout au moins du temps d’écoute à des individus qui n’en font pas partie et qui pourtant grâce à internet ont la possibilité de développer des compétences très pointues dans des domaines particuliers. Sans parler du discrédit systématique de sources de connaissance “non officielles” – eg wikipedia, etc … qui sont, de plus, perçues comme une menace tendant à déposséder l’élite d’un privilège de primauté d’accès à l’information.
Quelques 1eres pistes de réflexions à nous soumettre avant la Chaire?
La pédagogie ne peut pas faire de mal : sensibiliser les cadres et employés de l’entreprise au fait que ces éléments ne sont pas co-substanciels à l’entreprise mais plutôt aux particularismes de l’entreprise.fr. Puis montrer que l’on peut vaincre le fatalisme par une mise en oeuvre graduelle, jonchée de petites victoires.
Je demeure toutefois désespérément optimiste, et ce pour une raison : l’open-source. Quel meilleur exemple de travail collaboratif sans hiérarchie, mû par la passion, de qualité remarquable et reconnue ? Dans un des pays où la culture de l’open source est la plus développée, que ce soit au niveau de la contribution ou de l’utilisation, ces obstacles culturels rejoignent ces paradoxes qui donnent à notre pays ce charme unique, ambigu (et épuisant).
Si seulement cette voix/voie pouvait être entendue/suivie !!! Je travaille dans un secteur où ce partage de compétences devrait être un impératif. Les procédures sont si nombreuses et la règlementation si touffue et changeante que l’interprétation personnelle ouvre le champ à de nombreuses pratiques. Certaines plus efficaces que d’autres…
Si chaque agent pouvait faire partager sa vision d’un aspect de la règlementation ainsi que des “petits trucs” de traitement permettant de fluidifier l’ensemble…ça serait bien.
Mais j’ai effectivement peur qu’en France le temps ne soit pas encore arrivé.