Je me rappelle avoir posé cette question dans une Masterclass de management 2.0 à la commission européenne : comment pouvons-nous développer notre leadership ? Quelles sont les meilleures universités ou diplômes pour y parvenir ? Je n’ai obtenu qu’un silence embarrassé. Je constatais que les personnes de l’auditoire ne parvenaient pas à formuler une réponse pertinente et se résignaient à admettre qu’ils n’avaient pas de réponse.
Tout comme la résolution de problème ou la collaboration, le leadership est un sujet qui revient dans de nombreux articles chez de très nombreux spécialistes du management. Pourtant, peu fournissent des exemples de pratiques et routines permettant de développer ces capacités essentielles dans l’entreprise du 21ème siècle.
L’objectif de ce billet est de craquer le code d’un leadership spécifique : celui qui permet d’obtenir l’engagement d’une équipe transverse sur laquelle on n’a pas de levier hiérarchique.
Leadership : définition
Ayant constaté avec dépit qu’il n’y a pas de traduction littérale du terme dans la langue de Flaubert, reportons nous aux définitions données par le business dictionary :
• l’activité consistant à diriger un groupe de personne ou la capacité de le faire
• l’acte d’inspirer des subordonnés à se dépasser et s’engager pour atteindre un but
Leadership et collaboration
A une époque où la collaboration devient un élément clef pour faire avancer des projets dans un monde complexe, le leadership devient une compétence stratégique pour inspirer et engager ses collègues (qui ne sont pas nécessairement subordonnés) pour atteindre un but commun. Aussi est-il dans l’intérêt de l’entreprise que chacun développe cette capacité. En effet avec l’avènement de projets transverses complexes impliquant des personnes de différentes équipes et fonctions, le leadership ne se cantonne plus aux personnes ayant des responsabilités hiérarchiques.
La collaboration est un sujet épineux. Encore une fois, tout le monde est à peu près d’accord sur ses vertus, la valeur qu’elle apporte, le besoin de collaborer et souvent, d’outils qui permettraient de la développer. Pourtant, personne n’explique clairement COMMENT collaborer ou, plus exactement, comment créer le contexte propice à l’émergence d’une collaboration fructueuse.
Bien souvent, je vois des personnes qui se positionnent d’une certaine façon comme clients de la collaboration. Ils attendent que la collaboration survienne, comme par magie, sans rien changer à leur posture ni attitude. Comme si juste être là était la seule chose qui leur fallait faire.
Dans les faits, la collaboration demande un petit plus qu’une présence passive, comme l’exemple qui suit en atteste. Cet exemple particulièrement éloquent illustre parfaitement comment l’utilisation de « bonnes pratiques » validées permet de développer son leadership pour obtenir une meilleure collaboration. Des routines pragmatiques et très précises pour des professionnels d’aujourd’hui, garanties 100 % sans RadicalManagementBS.
Contexte : engager une équipe cross-fonctionnelle et internationale
Nous sommes dans un très grand groupe international – son industrie n’est pas significative pour notre exemple mais s’il en faut une disons qu’elle vend des doughnuts. Une équipe est en charge de la rédaction de documents stratégiques au sujet des tendances numériques et de leur impact sur l’industrie des doughnuts. Ces documents ont pour but d’exprimer de façon synthétique, informée et claire la position de l’entreprise sur ces sujets. A ce titre ils seront lus par le comité exécutif et mis en œuvre par les différentes filiales internationales du groupe une fois validés.
Le plus gros challenge rencontré par les chefs de projets en charge chacun d’un sujet est d’engager sur le sujet les experts à travers les différentes fonctions concernées (IT, Legal, Compliance, HR …) et les différentes filiales. Il est important de conserver à l’esprit que ces différents professionnels sollicités ont mille autres activités et n’ont pas de temps dédié à cette action spécifique : la vraie vie, quoi. Toutefois, obtenir leur adhésion est essentiel pour deux raisons. Tout d’abord ils permettent de croiser de nombreuses perspectives sur le sujet : il serait en effet risqué de prendre une position sur l’utilisation des données client sans avoir le point de vue de la fonction Legal. Surtout, ils sont des leviers majeurs pour faciliter la mise en œuvre dans leur filiale : il est ainsi beaucoup moins compliqué de lancer des expérimentations avec la filiale belge si un expert du pays connaissant la spécificité du marché et les bons acteurs à solliciter est impliqué dès le début du projet.
Je travaille avec trois chefs de projet qui ont chacune leur approche et obtiennent des résultats différents de leurs équipes cross-fonctionnelles et internationales.
1. Regretter le manque de leviers hiérarchiques
La première chef de projet, appelons-la Julia, a beaucoup de mal à faire avancer son sujet. Elle se plaint de trois choses. La première est qu’un expert a été muté de sa division dans une filiale d’un pays. Il n’est plus aussi disponible au moment où elle en a le plus besoin.
Le second point est qu’elle regrette ne pas avoir suffisamment de levier hiérarchique pour obtenir ce qu’elle souhaite de l’équipe. Elle a le sentiment que les personnes ne suivent pas les directions qu’elle indique et ne sont pas suffisamment alignées sur ses objectifs.
Le troisième point c’est qu’elle ne dispose pas de tous les outils pour faire avancer le projet. Il y a toujours quelqu’un ou quelque chose qui manque et elle a du mal à coordonner les différentes activités.
Elle semble résignée, à court d’idées et le projet semble s’embourber.
2. Utiliser le pouvoir assigné
Une seconde chef de projet, appelons-la Isabella, a choisi d’utiliser la carte du pouvoir assigné (Granted Power), un fameux anti-pattern de leadership comme nous l’explique Scott Berkun. Elle a fait suivre à l’ensemble de son équipe le mail qu’elle a reçu du COO demandant aux personnes de l’équipe de collaborer à ce projet. Étrangement, cette stratégie ne semble pas particulièrement porter ses fruits : Julia rencontre aussi mille obstacles pour obtenir l’engagement de son équipe à son projet.
Cette approche inspire une grimace à Natalie notre troisième chef de projet : “Je ne répondrai jamais à ce genre d’email et ferai toujours le minimum suite à une telle sollicitation” répond-t-elle de façon abrupte à Isabella.
3. Apporter de la valeur
Natalie, elle, a une approche complètement différente. Elle se moque des leviers hiérarchiques, et ignore le pouvoir assigné comme elle l’a exprimé à Isabella.
Natalie vient du monde de l’IT et des méthodes agiles : elle est éminemment pratique. Sa posture : si je veux que des personnes me suivent, j’ai besoin de réfléchir à la valeur que je leur apporte. Je dois répondre à la fameuse question « What’s in it for me ? », quel est le ROTI (Return Of Time Invested) selon leur perspective.
La formule de calcul du ROTI est très simple : (Valeur Apportée) / (Temps Investi). Aussi se concentre-t-elle sur le numérateur (apporter de la valeur) et le dénominateur (réduire le temps investi par les experts qui participent à son projet). Un des principes de base de la conduite de changement tel que décrit par le fameux ouvrage Switch des frères Chip et Dan Heath : rendre le changement facile en ayant déjà fait une partie du chemin. À la différence de Julia et Isabella, elle ne considère pas la collaboration comme un dû des participants mais comme un devoir à elle, chef du projet de réalisation du document stratégique.
Plutôt qu’échanger par mails ou différents moyens électroniques, Natalie se déplace et va rendre visite aux experts IRL (In Real Life. oui : dans la vraie vie). Cela lui permet de créer d’authentiques liens avec les différents contributeurs : Michael Ballé parlerait de créer des alliances. En outre, elle s’assure ainsi que les experts comprennent bien l’enjeu du projet.
Ceux-ci sont sensibles au fait que Natalie a fait l’effort de venir les rencontrer, ce qu’ils interprètent comme une marque de respect. S’ensuit un entretien durant lequel Natalie obtient la perspective de l’expert sur le sujet ainsi que les enjeux spécifiques du pays ou de la fonction transverse sur le sujet. Elle prend connaissance des noms différents acteurs locaux ou de la division qu’il sera nécessaire de solliciter. Sur le chemin du retour, Natalie formalise et synthétise l’entretien dans un support (souvent un document Powerpoint) qu’elle soumet ensuite à l’expert pour revue. Cela crée une dynamique positive de communication : elle sollicite l’expert pour qu’il l’aide à clarifier son point de vue. Une dynamique aux antipodes de celle plus standard de demander à l’expert de formaliser le tout dans un PPT (rédigé tardivement et douloureusement) qu’elle relirait.
Enfin, lorsque le document est revu et validé par l’expert, elle lui renvoie en lui en laissant la propriété et l’invite à le présenter à ses managers. Ce faisant, non seulement apporte-t-elle de la valeur à l’expert en ayant contribué à synthétiser sa perspective sur un sujet donné important pour sa filiale ou sa division, mais elle utilise aussi l’expert pour porter son sujet au sein de sa filiale et faire ainsi du lobbying pour son propre projet : c’est un grand chelem que réalise ainsi Natalie. Et, son projet est le plus avancé des trois car elle lance déjà, sur son sujet validé par le comité exécutif et les directions de filiales, des expérimentations dans plusieurs pays.
Leadership en action
Voila du pur leadership en action. Nous ne sommes pas ici dans le bullshit fumeux de grandes revues de management (Soutenir la modularité, Accepter la surprise mais réduire l’incertitude, Préserver la redondance … ce genre de généralités lues dans un article de HBR France de Décembre 2016). La communauté distribuée de Natalie, dans 5 pays et 4 divisions, est performante bien qu’elle n’utilise aucune plateforme électronique soit dit en passant. Elle n’économise pas ses efforts pour créer et alimenter ses relations, elle sait ce que cela demande. Le “coût de transaction”, si je peux me permettre la RonaldCoaserie, est compensé par la qualité des résultats qu’elle parvient à obtenir : si elle doit prendre l’avion pour rencontrer les personnes pour réussir et bien elle prend l’avion. C’est moins simple (et plus cher) qu’envoyer un mail mais le résultat est là.
Il ne s’agit pas de leadership assigné, c’est un leadership acquis, grâce à ses efforts, son propre engagement, le respect dont elle fait preuve à l’égard des membres du projet et grâce à des routines pratiques. Natalie a rencontré ce problème et a compris qu’apporter de la valeur était un moyen de débloquer des situations et d’encourager la collaboration. Elle a maintenant validé sa stratégie et a développé son leadership. Le plus étonnant lorsque l’on échange avec elle au sujet de son approche est qu’elle ne voit pas cela comme un savoir faire mais comme une solution qui lui semble évidente.
Aller et rencontrer : Nemawashi
Vous le voyez venir n’est-ce pas ? Ceci est une pratique Lean. Une des 14 pratiques identifiées par le Dr Jeffrey Liker dans son ouvrage The Toyota Way. Ce que l’on appelle Nemawashi : nous allons rencontrer les personnes impliquées dans un projet et/ou une décision pour les engager, un par par un, et obtenir leur validation, en respectant leur temps et leurs autres fonctions.
L’idée est d’obtenir leur perspective et contributions et les informer sur ce qui va se passer avant de le présenter à l’ensemble des personnes. Nous ne sommes pas ici dans l’approche collaborative agile standard dans laquelle tout se joue au niveau de l’équipe : nous sommes au niveau d’une compétence spécifique et personnelle.
Il s’agit d’une pratique que nous nous efforçons de développer chez les personnes que nous coachons. Nous challengeons automatiquement l’approche simpliste (c’est bon j’ai envoyé un mail) et nous nous assurons que l’on va voir les personnes pour garantir le meilleur niveau de communication.
Développer le Leadership
Comment créez-vous des environnements de collaboration fructueux ? Comment apportez-vous de la valeur aux personnes que vous souhaitez engager ? Comment savez-vous que vous leur apportez de la valeur ? Comment les aidez-vous à minimiser l’investissement en temps dans votre projet ? Comment développez-vous des compétences de leadership chez les membres de vos équipes pour qu’ils deviennent plus efficaces dans la collaboration ?
Cet article est extrait de l’ouvrage #hyperlean en action – pratiques du management à l’ère du numérique
Top
Merci pour cet article et ce souffle. Je vous suis sur cette nécessité pour le chef de projet de sortir d’une certaine loyale passivité pour entrer dans un engagement éclairé et pragmatique.
ça me rappelle les conseils bourgeois donnés à la jeune mariée se confrontant à sa première femme de ménage : “Les premières fois, au lieu de réciter ordres et exigences qui vont l’abrutir, qu’elle n’écoutera pas et dont elle ne retiendra rien, fais le ménage, la cuisine avec elle, de temps en temps, précises ce que tu fais, sans plus, répète cette attitude chaque jour, en l’allégeant, jusqu’au moment où tu sentiras qu’elle a compris ce que tu veux. Mais même alors, continue à l’accompagner dans son travail de temps à autre, peu de temps, mais régulièrement. Ne la lâche pas et remarque ce qu’elle fait de bien, fais-lui des compliments.”
Bonjour Ambix. Merci pour ce commentaire. Il faudrait citer la source, c’est un beau texte.
C’est aussi l’approche des artisans qui montrent le bon geste à leurs apprentis ou encore celle de personnes modestes qui montrent à leurs enfants comment économiser de l’eau ou de la nourriture pour préparer un bon repas avec des ressources réduites.
On peut donc avancer que votre perspective en dit bien plus sur vous que sur l’article lui même.
la source, c’est ce que j’ai pu entendre et observer autour de moi quand j’étais gamine on ne peut demander aux autres ce que l’on ne sait pas du tout faire soi-même, par contre en exprimant notre action, nous nous ouvrons à la critique et dévoilons nos lacunes
nos propres agissements quand ils sont honnêtes inspirent l’autre et lui permettent d’apporter ses compétences
si l’apprentissage se fait d’abord par l’imitation, très vite, l’apprenti dépasse le maître puis qu’il acquiert ce que l’autre sait puis y ajoute son propre génie
c’est ainsi que l’on peut créer une synergie
tout n’est une question de conscience morale
Merci pour cet article, qui explique bien que le manager/leader doit avancer dans le sens de la simplicité, de la sincérité et du soutien…
Aller sur le terrain rencontrer ceux qui savent, c’est bien le meilleur moyen d’avancer sur des problématiques peu lisibles à distance. Et les relations directes permettent de donner de la valeur au contact humain, qui est le premier levier de la performance. Si le contact est fort, l’effet levier sera démultiplié…
Bien sur, cela selon moi.