Amélioration Continue Vs. Innovations de Rupture

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Ce billet est une réaction à une citation (ci-dessus) de Oren Harari par Alexander Kluge (le consultant, à ne pas confondre avec le philosope et réalisateur). Une citation reporté par l’impeccable Hans-Juergen Sturm. OK, ce n’est pas de la première main mais cela demeure très instructif.

En toute honnêteté, je n’ai pas vu toute la présentation d’Alexander. Pourtant je reconnais là la même petite musique, la même croyance que l’on peut retrouver dans l’intervention de Aaron Dignan à l’USI 2015 dans laquelle ce consultant en leadership établit une opposition entre l’efficacité opérationnelle (le foyer de l’amélioration continue) d’un côté et l’adaptabilité de l’autre. Comme si ces deux sujets étaient mutuellement incompatibles et que l’on devaient choisir entre les deux.

Il y a selon moi de nombreuses incohérences dans cette opposition et voici pourquoi …

La vraie histoire de l’invention de l’ampoule

Tout d’abord : le processus effectif de réalisation d’une ampoule. Ce que Thomas Edison semble avoir dit sur le sujet est ceci :

“Après que nous ayons conduit des milliers d’expérimentations sur un certain projet sans résoudre le problème, un de mes associés, au terme de l’expérimentation clef qui s’avéra être un échec, exprima du découragement et du dégoût sur le fait que nous ayons échoué à trouver quoi que ce soit de valable. Je lui ai alors apporté tout mon soutien et lui ai assuré que nous avions appris quelque chose. Car nous avions alors appris avec certitude que la chose ne pouvait être construite ainsi et que nous devions tester d’autres approches.

Cette citation ci-dessus proviendrait d’un entretien accordé par Edison et publié dans l’édition de Janvier 1921 de l’American Magazine. Une citation parfois raccourcie comme ci-dessous (ce n’est pas clair à ce stade s’il s’agit d’une citation apocryphe) :

“Je n’ai pas échoué 1000 fois. J’ai découvert avec succès 1000 façons de ne PAS faire une ampoule.”

Ce qui tendrait à contredire de façon assez radicale ce que sous-entend la citation qui illustre ce billet. Edison n’a pas “radicalement” inventé l’ampoule. En fait il ne l’a pas inventé tout court car les lampes à incandescence existaient déjà lorsqu’il a débuté ses travaux. Lui et son équipe ont travaillé sans relâche sur l’amélioration continue et l’expérimentation pour les rendre commercialement viables. Ce qui, incidemment, est la définition de Schumpeter de l’innovation (“introduire une invention dans un système social“).

Inspiration et transpiration

Ce travail expérimental sans fin, basé sur le mode Essai / Erreur (que la langue anglaise traduit en Test & Learn – à méditer) est aussi illustrée par cette autre citation du grand homme :

“Le génie c’est un pourcent d’inspiration, et quatre vingt dix-neuf pourcents de transpiration.”

Un idée que l’on retrouve dans les essais sur la littérature d’un des plus grands romanciers du XXème siècle : l’immense Vladimir Nabokov. Une idée qui met les “radical thought-leaders” et consultant en innovation très mal à l’aise : certains d’entre eux ont même essayé de ré-écrire l’histoire dans des acrobaties rhétoriques pour le moins embarrassantes.

La vérité incommode est la suivante : il n’y pas de raccourci, pas de silver bullet. Il n’y a pas de management radical ou d’approche innovante qui va d’un seul coup, comme par magie, rendre votre entreprise plus innovante. Il n’y a que le travail. Dans la bonne direction, dans le bon contexte, analysant le bon problème, en s’assurant que les obstacles sont supprimés pour permettre à l’équipe d’avancer. Rien d’autre que le dur labeur : c’est un des enseignements majeurs de l’ouvrage de Scott Berkun Myths Of Innovation.

Pourquoi s’agit-il d’une réalité inconfortable ? Parce que ce que vendent ces consultants (Steve Denning, Gary Hamel, Aaron Dignan …) ce sont des moments révolutionnaires. J’ai plus qu’à mon tour, moi aussi, été fasciné par ces idées. Comme Matthew Stewart l’explique dans The Management Myth) :

“Ce n’est pas un ordre nouveau que recherchent les théoriciens du management ; c’est la sensation du moment révolutionnaire.”

Ils ne souhaitent pas voir réduire la valeur de leur contribution au seul pourcent de l’inspiration. Ce qui est compréhensible : ce ne serait pas un business model très solide, n’est-ce pas ?

The Economist a publié un article assez provoquant pour cette communauté ostensiblement provocatrice : La discipline théorique du management est devenue une collection d’idées mortes. Une lecture très rafraîchissante.

L’Innovation distribuée

Le sujet de l’amélioration continue c’est la stratégie des petits pas. Menée là où la valeur pour le client est créée, avec de l’observation, plutôt que dans des bureaux de dirigeants avec des slides.

Comme le dit si bien Michael Ballé : 100 améliorations d’1% sont mille fois préférables à une amélioration de 100%. Tout d’abord parce que 100 améliorations successives de 1 % donnent une amélioration de 270% (les maths sont intraitables : voilà des changements radicaux). Ensuite parce que, comme la citation d’Edison ci dessus explique, cela offre 100 opportunités d’apprentissage. Pas de l’apprentissage au sens de “regarder un TED Talk d’un radical management thought leader vous racontant toujours la même histoire de WL Gore / Morning Star / Google ou Airbnb”. Apprentissage dans le sens procéder à des expérimentations permettant de construire une connaissance validée alors que l’on comprend les résultats de l’expérimentation, en faisant le boulot. Troisièmement parce que cela permet de distribuer les efforts d’innovation à travers l’organisation : voilà une stratégie.

Manière de penser

Plus important encore, l’amélioration continue, pratiquée chaque jour à travers l’ensemble de l’organisation permet de déployer une culture de résolution de problèmes. Cela devient alors une manière de penser. Cette manière de penser devient essentielle lorsque l’organisation doit faire preuve d’inventivité dans des situations extrêmes. Une histoire remarquable à ce sujet est celle de l’usine Aisin avec Toyota.

“The fire incinerated the main source of a crucial brake valve that Toyota buys from Aisin and uses in most of its cars. Most Toyota plants kept only a four-hour supply of the $5 valve; without it, Toyota had to shut down its 20 auto plants in Japan, which build 14,000 cars a day. Some experts thought Toyota couldn’t recover for weeks. But five days after the fire, its car factories started up again. Only recently have Toyota and its suppliers revealed how they did it.”

Le fait que l’entreprise qui a mis l’amélioration continue au coeur de sa culture et de ses pratiques soit aussi le leader dans les véhicules à moteur hybride avec la Prius (un véhicule révolutionnaire (rires) qu’ils ont développé en 18 mois lorsque la plupart des constructeurs mettent 24 à 36 mois pour un véhicule standard) et que ce même constructeur soit celui qui propose le premier véhicule à pile à combustible, tend à rendre la citation de Oren Harari encore moins pertinente.

Alors quelle est votre stratégie pour l’innovation de rupture : centralisée avec des slides et du story telling pour dirigeants ou des pratiques distribuées sur l’ensemble de votre organisation et du dur labeur ? Avant de répondre à cette question, jetez un oeil aux Myths of Innovations.

Cet article est extrait de l’ouvrage #hyperlean en action – pratiques du management à l’ère du numérique

hyperlean en action

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