(article initialement publié sur le blog collaboratif LeMinifastAgile)
Pour quelle raison selon vous ne parlons nous plus aujourd’hui d’informatique ou d’IT mais de Numérique (ou de digital qui reste valide en français même si parfois jugé inélégant) ?
Une réponse apportée par le Design Thinking et le livre Change By Design de Tim Brown en 2010 : parce qu’à force de ne se soucier que d’une perspective système et processus, nous avons perdu de vue le client et les utilisateurs.
Le Design Thinking parle plutôt de numérique pour voir la technologie depuis la perspective de l’utilisateur (voir aussi cet article dans lequel est développé cette idée), et se concentre ainsi davantage sur la partie Information que sur la partie Technology, comme le souhaitait Peter Drucker dans cette citation tirée de son livre Management Challenges for the 21st Century :
Un des défis du 21ème siècle est d’obtenir la vraie valeur de l’IT en se concentrant davantage sur l’information que sur la technologie.
Changements exponentiels
A l’ère de l’information, le rythme des changements n’est plus linéaire mais il est exponentiel. Ce que nous explique Ray Kurzweil, Director of Engineering chez Google, dans cette présentation de l’USI 2012.
Ces changements exponentiels ont plusieurs conséquences. Ainsi la corrélation entre l’adoption massive des innovations d’un côté et la réduction significative de la durée moyenne de vie des entreprises comme le montre cette diapositive de Dion Hinchcliffe présentée au Social Business Summit de Paris en 2013. Bien sûr, corrélation n’est pas causalité, mais ce lien vaut la peine d’être exploré.

Transformation Numérique : des chiffres
Cette tendance lourde présente aussi des conséquences opérationnelles spectaculaires. Car la transformation numérique ce n’est pas qu’un assemblage de concepts (guillemets avec les doigts) parfois fumeux. C’est aussi un ensemble de chiffres sonnants et trébuchants :
- Amazon met du nouveau logiciel en production toutes les 12 secondes. J’ai travaillé chez un éditeur logiciel qui mettait du nouveau logiciel en production tous les 6 mois. 12 secondes Vs 6 mois.
- Google Compute Engine livre un environnement de production en 3 minutes. J’ai fait une mission chez un gros acteur du CAC 40 chez lequel il nous a fallu 9 semaines pour avoir un environnement de pré-production. 3 minutes Vs 9 mois.
- Facebook a compté 690M d’utilisateurs en moyenne en Juin 2013. Pour la solution de l”éditeur logiciel dont j’ai parlé, si l’on dépassait les 500 utilisateurs, les performances en pâtissait de façon dramatique, au grand désespoir de nos utilisatrices. 500 Vs 690 millions.
- Chez Zappos, les cycles de développement sont de l’ordre de la semaine. Chez cet éditeur, il s’agissait de cycles de 6 mois. On multiplie ainsi par 24 la capacité d’apprentissage de l’organisation à travers les feedbacks clients.
- Basecamp, la startup qui propose un outil de pilotage de projet n’a fait aucun investissement en infrastructure et propose pourtant 99,99% de disponibilité à ses utilisateurs depuis son lancement en 2005. J’ai travaillé pour une grande banque qui, pour avoir ce niveau de disponibilité, avait investi des dizaines de millions d’euros sur deux sites différents.
Ces changements d’échelle spectaculaires (nous ne parlons pas ici d’améliorations marginales), auxquels nous sommes maintenant habitués dans les services numériques publics, provoque des changements profonds chez les attentes des utilisateurs. Comme le dit Clay Shirky dans Here Comes Everybody:
L’innovation devient socialement intéressante lorsqu’elle est devenue technologiquement ennuyeuse.
Transformation Numérique et management
Erik Brynjolfsson et Andrew McAfee, 2 chercheurs du MIT se sont penchés sur le sujet en cherchant dans l’histoire une technologie généraliste porteuse d’autant d’invention. Ils se sont donc intéressés à l’avènement de l’électricité et ont constaté, dans leur ouvrage The Second Machine Age, que 30 années ont passé entre la mise en œuvre de l’électricité dans les usines US et l’amélioration de la productivité.
Ils ont réfléchi à ce à quoi pouvait correspondre ces trente années. Ce deux chercheurs en sont venus à la conclusion suivante : 30 ans c’est la durée de renouvellement d’une génération de managers.
Leur conclusion est que l’avènement du numérique est aussi un enjeu de management. Et ils nous posent cette question : Comment transformer notre management pour être capable de faire levier des opportunités du numérique ? (sans attendre 2050).
Construire une connaissance validée
Le mode opérationnel qui a prévalu depuis l’avènement du Design Thinking est le Lean Start-up. La proposition du Lean Startup est que dans le contexte imprévisible qui est le nôtre aujourd’hui, la condition de survie consiste à construire une connaissance validée (Validated Knowledge).
Connaissance validée de la réalité du marché et des attentes de nos clients. Mais aussi une connaissance validée de notre organisation interne et de nos processus pour livrer les produits et service attendus par le marché. Il s’agit du point de départ de l’ouvrage #hyperlean – ce que signifie l’avènement du numérique.
Le contexte de l’ère du numérique
Dans son ouvrage Future Of Management (judicieusement traduit en France en “La Fin du management” – yeux au ciel), le professeur de la London Business School Gary Hamel explique que les deux principaux éléments de contexte de l’ère du numérique sont les suivants :
- des clients et des employés hyper-informés et non captifs ;
- des ruptures permanentes liées aux innovations, technologiques bien sûr, mais aussi liées à de nouveaux business models ou de nouveaux usages.
- l’avènement de start-up agiles qui profitent de barrières d’entrées basses dans les marchés et de l’accessibilité de la technologie pour attaquer de façon très agressive des segments de marchés que les acteurs établis pensaient protégés. L’exemple en France de Capitaine Train sur le marché Voyage-SNCF est à ce titre éloquent (voir l’entretien avec Jonathan Lefèvre). Tout comme celui de la Startup Stripe qui s’est engouffrée sur le marché du paiement sur internet, devenant en quelques années une déca-licorne (i.e. valorisée à plusieurs dizaines de milliards)
Clients et collaborateurs : agilité
Pour répondre à ces éléments de contexte, nouveaux et déstructurants, les géants du numérique ont axés leur stratégie sur 3 piliers :
- le parcours client que nous avons vu précédemment
- l’engagement des collaborateurs
- l’agilité des organisations car cette approche permet de transformer ces deux intentions a priori opposées en une tension féconde et productive. On parle ainsi parfois de symétrie des intentions.
Même si leur culture sociétale demeure très discutable (lire Scott Galloway à ce sujet), les géants du numérique demeurent exemplaires pour leur efficacité opérationnelle et leur capacité à innover. Leurs résultats insolents et leur capacité à bouleverser l’économie du XXième siècle valident cette approche et montre que non cela fonctionne particulièrement bien mais surtout que cela permet d’obtenir un effet d’échelle inédit, que les grandes entreprises du XXème siècle n’osaient même pas envisager. L’agilité, au coeur de leur modèle opérationnel, est ainsi devenu de facto le modèle opérationnel de l’ère du numérique.
Pour clarifier de dont on parle, voir cet article qui vous propose une définition plus précise de l’agilité.