L’arme secrète de la conduite du changement

tête à tête

(Ce texte est extrait de l’ouvrage #hyperchange – petit guide de la conduite du changement dans l’économie de la connaissance).

Je suis aujourd’hui en charge d’un projet de conduite de changement qui concerne environ 70 personnes au sein d’une équipe de R&D Logiciel et de cette expérience, j’ai retiré quelques bonnes pratiques que j’aimerais partager.

Pour commencer : l’arme secrète de la conduite du changement. Il s’agit probablement d’un des outils les plus puissants du management. Et pourtant il est, malheureusement, très peu utilisé. Probablement parce qu’il nécessite du temps, de la patience, de l’écoute et du courage. Souvent les managers éludent le propos en prétendant qu’il y a des choses plus importantes à faire : participer à telle réunion, préparer tel dossier, présenter tel sujet etc …

Cela nous ramène au rôle du management : quel est-il ? Dans le monde du 21ème siècle, celui de l’économie de la connaissance, qui est celui que je connais le mieux, j’aurais une définition héritée de ce que Edgar Schein appelle la sous-culture des opérateurs : le rôle du manager est de mettre les équipes dans les meilleures conditions pour travailler. Ou encore, pour citer Scott Adams, l’auteur de Dilberts : « Le premier travail d’un manager n’est pas d’apporter la motivation mais de supprimer les obstacles. »

Car si l’équipe ne fonctionne pas, s’il y a des problèmes, il y a la loi de Lefferts rapportée par Scott Berkun : c’est la faute du manager.

C’est encore une fois Octo qui m’a ramené à cette évidence à travers leur ouvrage collaboratif Partageons ce qui nous départage et la présentation de David Allia à l’USI 2012. Cet article donc sur le one-to-one ou entretien en tête à tête, arme secrète pour détruire les obstacles au changement …

One to one et gestion du changement

Lors d’une phase de transition, le rôle du management est d’autant plus important :  les équipes ont alors réellement besoin d’être accompagnées.

L’approche de l’entretien en tête à tête présente de multiples avantages :

  • Le changement provoque de l’anxiété (Schein) et les équipes ont besoin de la déverser à un membre influent de l’organisation. C’est le rôle du manager de soulager les équipes de cette charge psychologique à travers une écoute empathique.
  • Cet espace de communication présente en outre l’avantage de minimiser la tentation des équipes de diffuser des ragots ou des interprétations sur le sujet car la même communication est portée à l’ensemble des personnes.
  • Par ailleurs, les équipes n’ont pas seulement besoin d’être entendues pour ce qui est des problèmes qu’elles rencontrent mais aussi pour ce qui est des propositions et des idées qu’elles peuvent apporter. Il n’y a rien de mieux pour susciter l’appropriation de l’initiative de changement (cf étude de McKinsey) que d’adopter une idée émise par une personne en lui en rendant publiquement l’origine.
  • Cet entretien permet aussi de mettre le sujet au clair avec les personnes dont on sent par la communication gestuelle une opposition, opposition qui n’est pas nécessairement formulée directement mais qui le sera dans les coulisses. Très souvent, on se rend ainsi compte qu’il y a juste quelques malentendus à dissiper. Une personne peut ainsi prêter de mauvaises intentions au projet et a juste besoin d’un éclaircissement : ltête à tête offre le cadre adéquat
  • C’est l’occasion de donner du feedback à la personne, feedback dont on sait qu’il est une des principales sources de motivation des équipes. Ce feedback doit toujours être contextualisé – « Lorsque tu as fait [action] tu as alors obtenu [résultat positif] – c’est ainsi qu’il faut avancer, c’est encourageant car cela montre que tu as pris la mesure de la nouvelle façon d’opérer.» Pour un feedback négatif il est important de l’inscrire dans un processus d’apprentissage « Lorsque tu as fait [action] il s’est passé [problème]. Ce n’est pas grave, nous sommes tous en phase d’apprentissage. En revanche, il est important de tirer des enseignements pour ne pas reproduire cette erreur. »
  • Cela permet de confronter les problèmes concrets rencontrés par les équipes dans la mise en oeuvre du changement. Ce qui discrédite souvent les initiatives de changement ce sont les sessions de communication durant lesquelles on présente des dizaines de diapositives très théoriques sans oser se confronter au réel à travers la mise en œuvre au quotidien des équipes. Norbert Alter dénonce cela : « Il y a ici une indifférence profonde, presque militante, pour les frottements du monde réel et pour les ressources internes de l’entreprise (…) c’est peut-être le vrai grand défi du management : apprendre à regarder la réalité des choses. ». La rencontre en face à face montre que nous, porteurs du changement, affrontons le réel à travers les problèmes qui nous sont remontés et que nous pouvons traiter. On retrouve ici un peu l’approche très vertueuse du Gemba dans le Lean.
  • Cette rencontre permet aussi de noter les points de vigilance remontés par le terrain et d’alimenter notre tableau de risques.
  • Enfin, et c’est là le plus important, ces entretiens montrent que nous prenons en compte les personnes qui sont impliquées par le changement.

Je ne pense pas qu’il y ait de mission plus importante pour le manager lors d’une phase de transition. La preuve de l’efficacité de cette approche : c’est toujours la première étape d’une mission de consulting pour avoir une vision générale de l’ensemble de l’organisation. Faites le régulièrement et vous économiserez des soucis et de l’argent à votre entreprise.

Si le concept semble simple il n’en demeure pas moins qu’il nécessite du courage. Car ce faisant, le manager s’expose à la réalité, il peut se retrouver dans une situation où des choses peu plaisantes vont remonter etc … Mais faire preuve de courage dans ce cadre contribue aussi largement au respect et à la confiance mutuels nécessaires à ce type d’initiatives.

Conduite de l’entretien

Il ne s’agit pas ici de faire un entretien avec un objectif clair de productivités, d’action, etc … Il n’y a pas de protocole précis comme peuvent l’être les entretiens standards de management.

L’idée est de laisser un espace ouvert pour accueillir avec bienveillance les propos de la personne. Cet article de Bill Braun est très éclairant à ce sujet : en voici un extrait :

“When a question is offered in a voice that communicates invitation (a true invitation, which can be declined without recrimination or consequence), the implicit message is that the person asking the question is placing her/himself in a position to be present to the answer. It also communicates a willingness to be influenced by the response”.

Les questions ouvertes sont à privilégier :

  • Comment te sens-tu par rapport aux changements ?
  • Quels sont les problèmes que tu rencontres dans ton travail quotidien ?
  • Quelles sont les questions que tu peux avoir ?
  • Quels sont les points de vigilance que tu identifies ?
  • Que pourrions-nous améliorer ?
  • Que pourrais-je faire pour que cela soit plus facile pour toi ?

Ze Bisounours Vs Organizational Development

Tout cela peut sembler un peu candide comme approche du management.

Avant de disqualifier cela un peu rapidement de « management Bisounours » comme je l’ai entendu, intéressons nous d’un peu plus près à l’histoire du management. Plus particulièrement à Douglas McGregor qui dès les années 60 avec son ouvrage The Human Side of the Enterprise, propose deux approches du management.

En premier lieu Theory X : les managers pensent que les équipes en font le moins possible et doivent être motivées et contrôlées (la fameuse approche Command and Control). Theory Y au contraire prend l’hypothèse de base que les équipes veulent bien faire, savent s’auto-motiver et doivent être guidées et challengées.

On retrouve une polarisation identique dans les Model 1 et 2 des Theory-in-Uses de Chris Argyris. Dans le premier modèle il y a de fortes notions d’accomplissement, de victoire, de contenir ses sentiments et de mettre en avant la rationalité : la stratégie passe par le contrôle et conduit à des attitudes défensives et à peu de liberté de choix. Le second modèle s’appuie sur de l’information validée, des choix libres et informés et des personnes engagées : la stratégie inclut un partage du contrôle ainsi qu’une approche participative et conduit à minimiser les attitudes défensives, à apporter plus de liberté de choix et à davantage d’apprentissage par feedback.

Dans son ouvrage Organizational Culture and Leadership, Edgar Schein explique que dans la société apprenante, seule gage de survie dans un monde en perpétuels changements profonds et radicaux, l’approche Theory Y est une des clefs de la réussite.

C’est sur cette même théorie que Bill Gore ou encore Robert Townsend (CEO de Avis) ont construit le succès de leurs entreprises.

Cette théorie servira aussi de base à la mouvance Organisation Development dans laquelle on retrouve des personnes aussi influentes que Chris Argyris, Edgar Schein , Peter Senge ou William Edwards Deming.

Il s’agit enfin de la base de l’approche managériale du monde des méthodologies Agiles (Servant Leadership) ou Lean (Le manager comme coach et enseignant).

Le plus important demeure le constat : le résultat est là. Une plus grande fluidité dans la mise en oeuvre, des tensions traitées en flux avant qu’elles ne prennent de trop grande proportion, un court-circuit de la machine à ragôts, une saine et franche confrontation au réel, et, plus important que tout, un authentique respect des personnes qui permet, à travers cette démarche vertueuse, d’établir une confiance mutuelle.

3 Comments

  1. Salut Claude, merci pout ton commentaire.

    Je le cite à peu près dans tous les billets sur la gestion du changement (dont le prochain) mais pas ici tu as raison. En fait il ne donne pas d’indication précise sur ce point.

Leave a comment