Notre pays traîne trois boulets : l’anthropocentrisme, le cartésianisme et l’exception française.
L’anthropocentrsime s’appuie sur les dualismes homme/animal, nature/culture et acquis/inné (…). Si une réflexion pointe la necessité de préserver la nature, la biodiversité, voir les populations humaines autochtones, c’est considéré comme de l’anti-humanisme. Il ne s’agit là que de dogmes théologico-philosophiques qui mériteraient d’être validés et, n’en déplaise à notre pensée universaliste, ne sont pas du tout universels. C’est la qu’intervient les “ce que je crois” le cartésianisme s’évertuant à développer des artifices de raisonnements rationnels pour valider des propositions qui, quant à elles, n’ont jamais été évaluées (…) Il y a confusion entre esprit rationnel et esprit scientifique (…) Enfin l’exception française se gargarise dès lors que l’on s’oppose au monde.
La paléoanthropologue évolutionniste Pascal Picq est en pleine forme dans son ouvrage Un Paléoanthropologue dans l’Entreprise.
Dans ce livre, il invite nos organisations à passer d’un mode Lamarckien à un mode Darwinien. Le premier prend l’hypothèse d’une évolution stable et linéaire, basée sur des évolutions incrémentales que l’on peut gérer par une culture de l’ingénieur, de la conformité et de l’application. Le second prend l’hypothèse d’un monde instable et d’évolutions non linéaires, basée sur des innovations de ruptures et une culture de chercheurs, créative, articulée autour de la mixité des compétences, d’une approche essai/erreur et d’une culture de l’émergence. (Attention à ne pas confondre modèle Darwinien et Darwinisme Social contre lequel Darwin s’est élevé de son vivant et que réfute aussi Picq).
Un ouvrage émaillé de nombreuses sorties qui égratignent le conformisme du modèle hexagonal :
“Il existe en France une croyance profonde, car c’en est une, qu’il faut se conformer à un schéma de progrès, le nôtre, considéré comme universel. Au lieu de changer le modèle, on en exclut ceux qui ne s’y conforment pas.”
“Le facteur d’angoisse ne vient pas du fait que le monde change – il a toujours changé – mais du fait que nous conservons un seul modèle de référence.”
“Chez nous en effet, la différence par rapport à la normalité est une anomalie. Chez Darwin, c’est une opportunité.”
“La France, contrairement à d’autres pays européens ou d’outre-atlantique, se distingue par l’absence d’enseignement de la culture entrepreneuriale dans le secondaire. Pire, notre école persiste à voir le monde de l’entreprise comme l’antichambre de l’enfer sociétal.”
De très nombreuses références de son ouvrage se rapporte à l’Entreprise 2.0 comme moyen d’action pour passer à cette culture Darwinienne :
(Au sujet d’une initiative réussie d’innovation de rupture au sein de l’entreprise Parker Hannifin) “D’abord le principe de la boîte à idées et leurs premières étapes de mise en oeuvre. Rien de révolutionnaire sauf que tout cela est mis en réseaux grâce à un système d’information unique mettant en exergue les collaborations entre groupes et divisions.”
(Ce qui pourrait être une belle définition de l’entreprise 2.0) “Pour s’adapter et innover, notamment en périodes de crises, le maître mot est bien “réorganisation”, ce qui signifie mettre en place les conditions de l’émergence de nouvelles solutions à partir de caractères ou de compétences jusque là potentiellement existantes.”
(Ce que nous apprend l’évolution) “le choix des acquis contre la créativité est toujours négatif.”
(sur le risque de ne pas passer en mode Darwinien, tout à fait transposable aux organisations qui ignorent le modèle d’organisation en réseaux) “Dans l’évolution il y a une autre règle empirique toujours vérifiée : les espèces ou les communautés écologiques isolées finissent par disparaître quand elles se retrouvent en contact avec des espèces venant de systèmes écologiques plus étendus avec des interactions plus complexes.”
Sur le contexte historique comme justification pour un passage à un mode Darwinien.
Dans la théorie de l’évolution, cela s’appelle la théorie des équilibres ponctués, des périodes de changements graduels entrecoupés de périodes de changements plus rapides.
Selon l’auteur si la seconde moitié du XXème siècle a été une longue phase de changements graduels, nous sommes entrés depuis la fin de celui-ci dans une phase de changement plus rapides. Comment les vivre ? Il justifie l’approche Darwinienne :
Toutes nos aptitudes à s’adapter dépendent de nos perceptions : soit des crises comme accident d’un schéma idéalisé de progrès perturbé par la vilaine nature et les méchants pays émergents ; soit des crises pour repenser nos adaptations, éliminer les mauvaises pratiques – c’est cela la sélection Darwinienne – et susciter l’émergence de nouveaux jeux des possibles.
Touffu et passionnant.
Voir aussi cet entretien sur le Nouvel Economiste : Culturellement, nous ne sommes pas formés pour créer des entreprises.
J’ai du mal à percevoir la raison de votre enthousiasme.
Que dit Picq de si intéressant ?
Ses propos sont des évidences (les entreprises aux USA sont plus récentes qu’en France) ou des clichés (la culture entrepreneuriale est moins développée en France qu’aux US) et ne sont pas du niveau des auteurs que vous citez habituellement.
Sans parler de ses références à la théorie darwinienne qui semblent avoir pour seul objet de vouloir impressionner un lecteur crédule avec des références scientifiques.
Seriez-vous tombé dans ce piège ?
Bonjour et merci pour votre commentaire. Il va falloir que je fasse attention, ce n’est pas la première fois que l’on me soupçonne de vouloir impressionner. Je prends le point.
Ce que vous prenez vous pour des évidences, ne le sont pas pas pour tout le monde.
Ce qui est passionnant est ce que Picq appelle la consilience : comment un modèle d’une science ou d’un contexte donné (ici la paléoanthropologie), présente un grand nombre de similitudes (et aide à expliquer) un contexte dans un autre domaine (le monde de l’entreprise en France).
Par ailleurs, Picq est un acteur important de l’Association Progrès du Management (APM) ce qui donne encore plus de pertinence à ces propos.
Le concept de consilience me séduit beaucoup. Je suis tout a fait convaincu que l’expertise dans un domaine particulier peut avoir des apports fructueux dans un autre domaine de la connaissance en ouvrant de nouvelles perspectives.
Je ne suis donc pas choqué par l’idée que, par exemple, la psychanalyse puisse enrichir l’analyse littéraire des contes de fées, ou même, que la maîtrise du crochet puisse contribuer à une meilleure compréhension de la géométrie hyperbolique (voir par exemple les travaux de daina Taiminia : http://www.youtube.com/watch?annotation_id=annotation_923954&feature=iv&src_vid=EZ2Fw-mS8c0&v=uDzkhUXJ3eo)
Ceci étant, l’intérêt concret apport d’un domaine de connaissance à un autre ne se présume pas. Il se constate.
Quand j’ai vu le thème de votre article : relation entre théorie darwinienne (car c’est de cela qu’il s’agit plutôt que de paléoanthropologie) et organisation des entreprises, j’avoue avoir été sceptique.
La théorie darwinienne a déjà du mal à faire ses preuves dans son propre domaine d’application (l’explication de l’apparition de la vie, puis de la diversité biologique) que ses tentatives d’expansion à d’autres domaines sont généralement très décevantes.
Le contenu de l’article a confirmé mes appréhensions. Je n’y ai trouvé, comme je l’ai dit, qu’une enfilade de poncifs (généralement sans grand rapport, d’ailleurs, avec la théorie de l’évolution).
Je suis prêt à changer d’avis (j’adore changer d’avis, c’est ce qui montre que l’on progresse dans la quête de la connaissance), mais il faudrait me présenter des arguments plus roboratifs..
Ah oui, quand je parle de l’article qui n’est qu’une enfilade de poncifs, je fais référence à l’article de Picq dans le Nouvel Economiste, et pas à votre billet, bien entendu !
ouf ! vous m’avez fait peur (rires). Mon enthousiasme est probablement lié à un manque manifeste de connaissance sur le sujet de la théorie Darwinienne. En revanche je partage le vôtre pour la consilience et je demeure convaincu que la perspective de Picq dans son ouvrage contribue à expliquer un certain nombre de problèmes que nous rencontrons dans la gouvernance de nos organisations.
Pour en savoir plus sur la théorie darwinienne, et surtout, sur ses alternatives, je vous conseille : The Darwin Black Box de Michael Behe
Un des rares bouquins qui m’aient fait changer d’avis sur un sujet. Not a small achievement !
Ps: et en plus, un délice à lire. Behe écrit divinement bien. Un peu comme Steven J. Gould et pas du tout comme Picq ! .