Start-up : en finir avec l’impératif hégémonique


dhh

Part of the problem seems to be that nobody these days is content to merely put their dent in the universe. No, they have to fucking own the universe. It’s not enough to be in the market, they have to dominate it. It’s not enough to serve customers, they have to capture them. (David Heinemeier Hansson)

David Heinemeier Hansson (aka @dhh) vient de publier un billet éminemment dhhien : punchy, iconoclaste et très bien informé. Aligné avec son intervention marquante à la Start-up school 2008 de Stanford, il prend encore une fois pour cible une certaine culture startup : hégémonique, se concentrant sur une hypothétique dimension disruptive, obsédée par les milliards et la domination du monde, complètement décorrélée de la réalité.

37Signals et culture startup

En 2004, après 9 années passées à l’étranger, j’ai eu l’opportunité de rejoindre une startup bordelaise : In Fusio, start-up dans laquelle j’allais exercer durant près de trois ans. Il s’agit d’une expérience fondatrice dans ma carrière car c’est grâce à cette opportunité que j’ai découvert 3 choses qui m’ont profondément marquées : la culture geek, les méthodes agiles et la fonction de manager.

A l’intersection de ces trois sujets, guidé par mon mentor 2.0 Frédéric Brunel, j’ai surtout découvert l’entreprise 37Signals au travers de leur premier livre Getting Real en 2005, livre dont la lecture sera une authentique révélation pour moi. Republié sous le nom de Rework cet ouvrage deviendra un New York Times best sellers. L’entreprise se rebaptisera un peu plus tard du nom de leur produit phare : Basecamp sans pour autant altérer sa vision du business.

Jason Fried et David Heinemeier Hansson, les fondateurs de Basecamp et auteurs du livre sont restés depuis lors sinon des modèles, au moins des influences fondatrices de ce blog.

Impératif hégémonique

Au travers de ce billet le second stigmatise avec virulence et un humour féroce les déviances de cette culture fantasmatique et son impératif hégémonique : construire un empire ou être destiné à disparaître.

The term startup has been narrowed to describe the pursuit of total business domination.

On retrouve cette image malheureuse utilisée par Nicolas Colin (qui demeure toutefois un des 2 ou 3 penseurs majeurs du numérique en France) : un impératif hégémonique avec la métaphore à l’éthique très discutable du personnage principal de Breaking Bad.

La stratégie business consiste alors à vendre du vaporware à travers des disruptions hypothétiques, de crâmer du cash-flow, d’arriver à l’IPO et de lever des milliards pour dominer le monde avec un empire et repartir créer une autre licorne éphémère (remember Groupon ?).

So first you take a lot of money from angels desperate to not miss out on the next big unicorn. Then you take an obscene amount of money from VCs to inflate your top-line growth, to entice the investment bankers that you might be worthy of foisting upon the public markets, eventually, or a suitable tech behemoth.

Une croyance

Le billet de DHH apporte une autre perspective très éclairante : il s’agit de croyance, appuyée sur une terminologie chrétienne (les fameux anges autoproclamés de l’investissement : les business angels).

But who can blame them? This set of fairytale ideals are being reinforced at every turn. Let’s start at the bottom: People who make lots of little bets on many potential unicorns have christened themselves angels. Angels? Really?

Le Danois montre ici la formidable ironie : une industrie et une culture basée sur les données, gouvernée par une croyance inspirée de la religion.

Alternative Business

DHH explique ici qu’il existe une autre approche du business des startups, une approche moins spectaculaire (et davantage boring), une culture dans laquelle si là aussi on fait levier de la puissance du numérique c’est pour répondre à un problème spécifique, remplir une mission et créer un business rentable et durable. Le rentable est d’une importance essentielle ici car il est directement lié à la dimension éthique.

I’m going to pull out another trite saying here: It feels like honest work. Simple, honest work. I make a good product, you pay me good money for it. We don’t even need big words like monetization strategy to describe that transaction because it is so plain and simple even my three year-old son can understand it.

Rappelons-nous cette autre citation de Jason Fried : There’s nothing simpler in the word than spending other people money. #Hypertextual a déjà parlé de cette vision alternative du business au sujet de Basecamp avec l’intervention de DHH @ Stanford Startup school mais aussi l’article autour de cet entretien avec Jason Fried [EN].

L’éthique discutable des géants du web

Ce billet de DHH résonne avec une intensité particulière en ce qu’il évoque deux points majeurs liés à cette culture. Le premier, évoqué lors de la chronique de L’âge de la multitude de Colin et Verdier : il n’y avait pas de master plan pour la domination du monde chez Google ou Facebook ou lors des premiers essais de AWS. Ces entreprises ont su faire preuve d’un grand opportunisme pour dominer leur marché mais il ne s’agissait pas d’une stratégie prédéterminée.

Le second est une question morale, que l’on peut évaluer à l’aune de ce questionnement d’Emmanuel Kant : que se passerait-il si toutes les entreprises se comportaient comme ces géants du web, en particulier la nouvelle génération NATU (Netflix, Airbnb, Tesla, Uber). Des entreprises qui avec leur stratégie de plateforme redoutablement efficace aspirent et centralisent la richesse, assèchent des pans entiers d’industrie tout en consacrant une bonne partie de leur créativité à contourner leurs obligations fiscales.

Disrupt-o-mania fits the goals of this cabal perfectly. It’s a license to kill. Run fast and break societies. Not all evil, naturally, but sucking a completely disproportionate amount of attention and light from the startup universe. The distortion is exacerbated by the fact that people building profitable companies outside the sphere of the VC dominion have little systemic need to tell their story

On a beau aimer des services de qualité, ou être fasciné par la formidable efficacité de ces organisations qui ont su faire levier de la puissance du numérique, on a tout de même le droit de se poser cette question.

Ce pamphlet de DHH arrive à point nommé pour le rappeler : on peut créer une start-up sans pour autant céder à l’hystérie impérialiste collective. A travers cette startup on peut patiemment construire un business simple et honnête qui va créer des emplois, offrir un cadre de travail stimulant délesté des lourdeurs bureaucratiques, prendre soin de ses clients et être respectueux de la société du 21ème siècle.

Pour ceux qui ne l’ont pas vu, la série Silicon Valley offre une autre perspective hilarante sur ces dérives. Je ne saurais trop vous la recommander …

1 Comment

  1. Merci pour cet article et point de vue très intéressant. Je prends egalement bonne note de l intérêt du livre Rework qui est dans ma wish list Amazon depuis quelques mois et qui passe de suite dans mon panier 🙂

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