Le Mercredi 18 Novembre, l’UIMM de Bordeaux recevait l’édition Bordelaise du Lean Tour. Au programme de cet évènement organisé par le Club Lean Aquitaine et l’Institut Lean France : des dirigeants locaux et des acteurs du sujet venus pour répondre de façon claire et transparente à cette question : de quel lean parle-t-on ?
Après les campagnes médiatiques menées contre cette approche de management, une initiative qui a permis de rappeler le but premier du lean orthodoxe, celui que défend ardemment ce blog : développer les personnes pour développer des produits, améliorer la performance et l’innovation pour développer les entreprises.
Le management du 21ème siècle en action …
Développer les personnes
Marie-Pia Ignace, présidente de l’Institut Lean France (disclosure : elle est aussi la dirigeante de Operae Partners, le cabinet de coachs Lean pour lequel je travaille) a clairement posé l’enjeu. Selon elle, la différence essentielle entre ce système de management créé par Toyota et le taylorisme qui a façonné nos organisations depuis plus d’un siècle, s’exprime au travers de cette citation glaçante de FW Taylor, parlant à un opérateur sur une chaîne de production :
“Dans cette entreprise il y a des personnes payées pour penser, vous n’en faites pas partie.”
Mais ce n’est tout le tout de penser ; encore faut-il que cette pensée soit féconde pour l’entreprise. Christophe Riboulet, CEO de Proditec a remarquablement bien précisé le problème :
“Plus on avait d’ingénieurs moins on innovait. Nos ingénieurs sortant d’école savent résoudre un problème connu pour lesquels il existe une solution connue. Mais il ne savent pas résoudre un problème inconnu pour lequel il faut avoir une approche scientifique avec le PDCA.”
Durant les différentes interventions de la journée, on a systématiquement entendu parler du développement des personnes. Toujours Christophe Riboulet :
Notre challenge RH : comment mettons nous TOUS les collaborateurs en condition de réussite ?
La solution passe par la résolution de problèmes, chaque jour, par chaque personne, en suivant l’approche scientifique du PDCA. Les dirigeants présents, que ce soit dans une PME telle que Proditec, AIO, Duffau ou un grand groupe tel que Thalès, ont insisté sur leur rôle, chaque jour, pour enraciner cette pratique en allant régulièrement sur le terrain pour échanger avec chacun, opérateurs, ingénieurs, managers, sur leur résolution de problème.
Le rôle du manager devient celui d’un formateur, qui challenge l’opérateur dans sa résolution de problème et travaille avec lui, sur le poste, en lui demandant de verbaliser ses actions pour identifier les bonnes pratiques implicites (Ludovic Inisan – Thalès).
En rendant les problèmes visibles et en supprimant ainsi leur dimension anxiogène (Mathieu Duffau), on s’arrête au premier défaut et on donne à chacun l’opportunité de penser et ainsi de développer son expertise. Mathieu Duffau toujours :
Les décisions d’amélioration viennent de la résolution de PDCA par les équipes, elles ne sont pas imposées par le management.
Un authentique blasphème pour la pensée tayloriste qui sépare ceux qui pensent de ceux qui font.
Le lean est la stratégie
Un second point commun chez les dirigeants qui sont intervenus lors de cette journée : l’importance d’être eux-mêmes accompagnés. Cela leur permet d’avoir un regard critique sur leur leadership mais aussi sur leur rôle de dirigeant. Cela nous permet de sortir la tête de l’eau et de travailler sur les bons sujets (C. Riboulet).
Comme l’ont répété Cyril Dané ou Christophe Riboulet, le lean dans l’entreprise c’est moi car le lean c’est la stratégie. Et pour cela ils ont besoin d’être accompagné par un expert (le sensei) car si l’entreprise doit changer, ce changement doit commencer par eux, dirigeants.
Le point très intéressant remonté par Christophe Riboulet : il n’y a pas eu de plan de déploiement, pas eu d’outils ou de terminologie compliquée. Nous sommes à des années lumière du déploiement standard de programme lean dans les grades organisations. L’approche a été beaucoup plus pragmatique. Proditec a lancé des “cannes à pêches” pour trouver les plus gros sujets sur lesquels avancer. La maitrise des stocks a été le premier. Cela leur a permis de libérer de la trésorerie et de créer des emplois
Lean engineering, innovation et créativité
Le lean n’est pas seulement un système de production et de management. ce que l’on sait moins c’est qu’il existe tout un volet de cette approche consacrée au Lean Engineering. Voir à ce titre le Toyota Product Development System de Jeffrey Liker ou encore cette présentation de Michael Ballé sur le sujet.
En se plaçant, inlassablement, encore et toujours, depuis la perspective du client et de ce qui représente de la valeur pour lui, le lean a permis à ces entreprises ces sauts quantiques dont parle Luc de Brabandère, sauts qui font la différence entre l’innovation et la créativité (“L’innovation peut être définie comme un changement de la réalité. Le créativité comme un changement de la perception” ).
Proditec a ainsi cessé de se voir comme une entreprise qui fait de l’électronique. L’entreprise est passé de la conception / réalisation d’une nouvelle carte électronique tous les 18 mois à une carte basée sur une solution d’électronique open-source disponible en une semaine. Cette approche radicale leur a permis de prendre un an d’avance sur la concurrence.
Voyant que ses sous-traitants ne parvenaient pas à améliorer de façon significative leur processus d’assemblage, l’entreprise a aussi décidé de ré-internaliser ce processus pour pouvoir mieux répondre aux attentes de leurs clients.
Un autre exemple éclairant de notre modèle mental sur l’innovation a été donné par Laurent Casartelli de BNP Paribas expliquant que, à l’ère de la dictature du numérique, les employés préfèrent rester dans le flou et ne pas savoir quel est leur performance quotidienne plutôt que s’abaisser à un batônnage pour compter leurs stocks et leur performance quotidienne. Le SI ne pouvant répondre à leur demande, l’équipe avait préféré se résigner à ne pas savoir. Comment peut-elle alors s’améliorer ?
Pour quels résultats
Les résultats obtenus ne sont pas marginaux. Comme le montre cette diapositive de Cyril Dané de AIO, ils sont spectaculaires :
En 5 ans de Lean, si AIO a plus que doublé ses effectifs, Proditec les a fait grossir de 50 %. Mathieu Duffau en un an a lui créé 3 emplois. Thalès de son côté a réduit en 2 ans de 45% les coûts de la non qualité.
Apprendre à apprendre
Ce que l’on a pu constater à travers ces différents retours d’expérience c’est que, comme le rappelait en introduction Marie-Pia Ignace, l’objectif du lean n’est pas de réduire les coûts (sinon il suffit de fermer l’entreprise) mais de supprimer les gaspillages et sortir des schémas de pensée pour mieux servir les clients et créer davantage de richesse et d’emplois. Comme lors du Lean Summit de 2014, de multiples témoignages éclairants qui attestent de l’adéquation de la pensée et du management lean pour le monde du 21ème siècle.
En conclusion je vous propose cette belle citation de Mathieu Duffau :
Je vois beaucoup de dirigeants parler d’agilité mais j’en vois bien peu en action dans les entreprises. Pour moi dirigeant, l’agilité c’est donner la capacité à chaque collaborateur d’avancer dans un monde instable.