Obeya, Obeya, en route pour la joie

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(extrait de #hyperlean en action – pratiques de management à l’ère du numérique)

Nous avons été sollicités pour aider la DSI d’un grand groupe d’assurances à mieux gérer les phases d’études de leurs projets. Dans ce métier, il y a de nombreux projets réglementaires dont la date de livraison ne peut être repoussée : la garantie des délais y est donc un impératif.

L’élément particulièrement intéressant, ici, est que nous avons mené cette démarche d’accompagnement sur la phase d’étude de deux projets successifs. Sans ne rien changer au processus existant, nous avons, à chaque fois, atteint l’objectif en termes de qualité et de délais, à savoir réduire les délais habituels de 50 %.

Ce qui a changé, c’est l’animation, organisée autour de l’Obeya (grande salle, en japonais). Une animation qui a permis une collaboration plus efficace dans un grand projet, entre les différentes entités de l’organisation (Maîtrise d’œuvre, Maîtrise d’Ouvrage, Architecture et Métiers), l’élimination des attentes, un lissage de la charge – et du stress ! – et une amélioration continue grâce à une production par petits lots.

[Note : les images illustrant l’article sont floutées par soucis de confidentialité du contexte client]

La situation initiale

Avant de débuter notre intervention nous avons essayé de comprendre les obstacles qui empêchaient les équipes de réussir ces phases de cadrage dans les délais impartis. En premier lieu, nous avons rencontré plusieurs directrices de projet qui nous ont raconté les déboires survenus lors des projets précédents.

Des effets tunnels, une relation contractuelle fondée sur des livrables tels que définis dans le référentiel, des expressions de besoins rejetées car non conformes, du retard, de la tension, des mails « difficiles », des parties de projet « oubliées » dans la note de cadrage, etc. Un exemple : une solution serveur dont la conception et le chiffrage n’incluent pas les outils d’administration. Le tout avec six mois de retard pour la livraison.

Nous avons pu obtenir la durée de réalisation d’une douzaine de notes de cadrage (la note de cadrage est le livrable de cette phase d’études) livrées l’année précédente : le temps moyen de réalisation a été de six mois. La plus rapide a été réalisée en quatre mois et la plus longue en plus de dix. Le client fait appel à nous, car il est impératif que l’équipe que nous allons accompagner sur ce projet réglementaire livre sa note de cadrage en trois mois, avec le niveau de qualité attendu, et le fasse dans une dynamique collaborative qui évitera les conflits.

L’approche proposée

Nous proposons à la direction des projets de ce grand groupe d’assurance l’approche Obeya. Obeya signifie grande salle : il s’agit d’un outil Lean conçu par Toyota lors de l’élaboration de la Prius, une approche orientée développement produit. Basée sur le management visuel qui recouvre les 4 murs de la grande salle, l’Obeya a plusieurs grands objectifs :

  1. Placer le client au cœur du processus de réalisation du produit.
  2. Aligner l’ensemble de l’équipe et des métiers sur les objectifs stratégiques de l’entreprise.
  3. S’immerger dans le produit en créant les conditions d’une grande collaboration au sein de l’équipe.
  4. Supporter une démarche d’amélioration continue.

Le mantra est, inlassablement, de voir ensemble, comprendre ensemble et agir ensemble.

L’atelier

La première étape du projet d’accompagnement est l’atelier. Durant deux jours, l’équipe va construire le management visuel qui va lui permettre de réussir son projet. Ce management visuel comporte les éléments standard de l’Obeya :

  • vision stratégique ;
  • voix du client ;
  • produit ;
  • macro plan ;
  • micro plan ;
  • performances ;
  • résolution de problèmes.

La vision stratégique est donnée par les dirigeants ou les sponsors du métier. Cette vision doit être chiffrée et SMART. Dans le cas de Toyota, elle était de développer en moins de 24 mois une voiture qui consomme moins que 50 gallons (190 litres) aux 1000 kilomètres. Dans le cadre du projet que j’accompagnais, la vision consistait à réaliser une note de cadrage de qualité, qui prenne en compte toutes les contraintes projet et organisationnelles, en trois mois afin que l’on puisse enchaîner les étapes suivantes du projet. L’équipe l’a retranscrite dans ses propres termes et l’a affichée ensuite avec des critères de succès chiffrés.

La voix du client provient des échanges que nous avons eus, au préalable, avec différents clients de phases de cadrage précédentes. Ces deux éléments seront notre étoile du nord pendant l’ensemble du projet.

Le Produit est notre note de cadrage, décomposée en une dizaine de chapitres. Pour chaque partie, l’équipe a défini le critère d’acceptation, permettant de s’assurer que la partie est OK. Par exemple, pour le chapitre solutions techniques, l’équipe sait qu’elle est OK si elle a été revue par l’équipe d’architecture et par l’équipe des opérations. Dans un premier temps, l’objectif est de livrer au plus vite les sections « faciles » pour ensuite se concentrer sur le cœur du document : les solutions fonctionnelles et techniques.

Si tous ces éléments sont importants, l’élément fondateur de la dynamique de collaboration qui va porter ce projet est la réalisation collaborative du Macro Plan lors de cet atelier. Dans un premier temps, on identifie l’ensemble des actions à réaliser pour livrer notre produit (la note de cadrage). Les étapes sont organisées autour des chapitres du document. Dans un second temps, chacun place la réalisation des sections dont il a la responsabilité sur le plan, aux dates qui lui semblent possibles. C’est à ce moment-là que chacun se rend compte que l’on ne tient pas l’objectif. La troisième étape va donc consister à réaménager les différentes étapes de sorte à tenir les délais. C’est là qu’une collaboration productive se met en place. Chacun met à jour en temps réel les différentes dépendances des tâches les unes entre les autres et les traite. En l’espace de deux heures, le plan de réalisation de la note de cadrage est établi. L’équipe a vu, compris et agi ensemble.

1. Macro-plan
1. Macro Plan réalisé en mode collaboratif par l’équipe

Sécuriser les livrables entrants

Un des points communs aux deux projets que j’ai menés est que, dans les deux cas, un des entrants est manquant : il s’agit de l’expression des besoins. Dans les deux cas, le chef de projet MOA va s’organiser spontanément pour avancer la date de livraison de ce livrable de deux ou trois semaines pour tenir la date butoir. L’équipe se mobilise autour de cet objectif commun (pour les revues, sollicitations de personnes externes à l’équipe, etc.) et, à chaque fois, permet de tenir ce nouveau délai.

Identifier l’unité d’œuvre

Très souvent, dans les organisations avec lesquelles nous travaillons, il existe une vision précise et partagée du processus théorique. En revanche, il y a moins d’unanimité pour ce qui est de la pièce. Car un processus ne signifie que peu de choses si l’on ne sait pas quelle est la pièce qui le traverse.

Réfléchir à la pièce a, en outre, cela de vertueux de permettre de penser son processus comme un processus de production plutôt que comme un processus de planification. Ce que l’on veut, c’est identifier une unité d’œuvre suffisamment fine autour de laquelle on peut s’organiser rapidement et livrer une première pièce bonne, c’est-à-dire qui a traversé le processus.

Tant qu’aucune pièce répondant aux critères de qualité n’en est sortie, on n’a aucune idée de l’efficacité de notre processus. Notre client a déjà réfléchi à ce sujet et a identifié cette unité d’œuvre sous la forme d’exigences fonctionnelles et non fonctionnelles. Nous réalisons une cartographie physique de la liste des exigences : il y en a cinquante-cinq dans le premier projet et une quarantaine dans le second.

2. macro plan
2. Cartographie des exigences fonctionnelles et non fonctionnelles

On classe ensuite ces exigences en « simples » (on sait faire et / ou on a déjà fait) et « complexes » (on ne sait pas comment faire, il y a de nombreuses questions en suspens). L’objectif est alors de lister l’ensemble des questions pour lesquelles nous aurons besoin de réponses pour avancer sur la définition des exigences complexes.

Déconstruire la perception d’impossibilité

Pour certaines de ses exigences complexes, nous savons y répondre avec les personnes de l’équipe. On constate, à plusieurs reprises, qu’au niveau de la MOE on pense à des solutions génériques et complexes qui représentent de la surqualité par rapport aux attentes MOA. Dans ce cas, on challenge les hypothèses de la MOE pour mettre en place ces solutions génériques et les faire revenir à une solution moins générique, plus simple et avec moins de dépendances. Lorsque j’entends des ingénieurs parler de généricité, j’ai tout de suite une alerte à l’esprit car la généricité bien souvent induit une complexité inutile, une plus grande fragilité du système et, presque toujours des problèmes de performance. Aussi j’essaye de les challenger au plus tôt en mettant leur solution en regard des besoins métiers.

Pour d’autres exigences, liées à des projets en adhérence, il va nous falloir des décisions apportées par des personnes externes à notre projet. La directrice de projet prend ces questions à sa charge et nous apporte les réponses dans le délai que nous avons identifié.

3. dépendances
3 Support d’un atelier sur la gestion des adhérences avec autres projets

Notre atout est le soutien du sponsor pour obtenir des réponses de managers qui n’osent pas trop « se mouiller » et qui préféreraient repousser leurs décisions sur ces sujets. Exemple au niveau de la sécurisation des accès : pour tenir la date du 31 mars, il nous faut savoir, le 20 février au plus tard, si nous allons devoir intégrer la connexion sécurisée avec clavier virtuel numérique ou pas.

L’intérêt de cet exercice consiste à rendre visibles les obstacles, il déconstruit la perception d’impossibilité. « Impossible de faire cela en 4 semaines ! ». Nous listons l’ensemble des obstacles qui nous empêcheraient d’atteindre notre objectif. En particulier, nous rendons explicites les questions pour lesquelles nous avons besoin de réponses, la personne qui pourra y répondre et planifions ensemble ces actions dans la semaine. Ces sessions nous permettent d’avancer de façon fluide et nominale malgré des sujets qui avaient été catégorisés en « impossible ».

Flux Tiré

Nous avons avancé sur un certain nombre des parties de notre note de cadrage. Nous pouvons maintenant nous concentrer sur le cœur du livrable : la définition des solutions techniques et fonctionnelles pour répondre aux exigences fonctionnelles et non fonctionnelles.

À ce stade, sur le premier projet, il nous reste 5 semaines pour terminer cette partie. Nous identifions les différentes étapes de définition de ces solutions :

  1. état des lieux technique et fonctionnel ;
  2. définition de la solution fonctionnelle ;
  3. validation par MOA/Métiers ;
  4. définition de la solution technique ;
  5. validation par les équipes Architecture et Opérations ;
  6. estimation des charges.

Plutôt que nous organiser avec un processus de planification (faire chaque étape pour les 55 exigences fonctionnelles), nous organisons un processus de production. On veut traiter 55 exigences en 5 semaines, il va nous falloir en traiter 11 par semaine. C’est l’objectif que se donne l’équipe. Nous lançons des invitations hebdomadaires pour obtenir la participation des personnes souhaitées pour la validation des exigences.

Ces personnes s’étonnent d’être sollicitées pour de courtes réunions hebdomadaires (1 heure) plutôt que sur de longues séances de travail durant lesquelles on « pourrait traiter l’ensemble des exigences fonctionnelles », ce qui est, d’expérience, une hypothèse très optimiste. L’appui du sponsor qui demande aux équipes concernées de jouer le jeu nous sera encore une fois d’une grande aide pour cette organisation.

4. flux exigence
4 Suivi du flux de production des exigences fonctionnelles

Isabelle, la sémillante chef de projet, organise son planning hebdomadaire pour produire ces solutions chaque semaine. La première semaine, nous n’en livrons aucune. Nous réfléchissons à ce qui s’est passé dans le cadre d’un PDCA. Nous nous rendons compte que l’animation de la session de validation MOA/Métiers n’a pas fonctionné : aucune exigence n’a été validée. Isabelle définit donc un standard d’animation de cette réunion. Ce standard comprend notamment une introduction claire pour s’assurer que l’audience de la réunion comprend les objectifs et attendus de la réunion – ce qui n’était pas le cas lors de celle qui a échoué : valider les solutions fonctionnelles proposées pour les 11 exigences fonctionnelles. Par ailleurs, cette session est structurée autour des exigences fonctionnelles, de leur traitement une par une et non pas autour des solutions qui pourraient être génériques à plusieurs.

Grâce à cette résolution de problème et à ce standard, les réunions des semaines suivantes sont des succès : l’ensemble des exigences est traité. Nous avons les premières pièces bonnes qui valident notre processus. Sauf sur un point : l’estimation de charges.

Estimation des charges

Il est intéressant de noter que sur chacun des 2 projets les exigences fonctionnelles se sont retrouvées bloquées dans leur traitement à la dernière étape, celle de l’estimation des charges.

Et pour chacune, nous avons utilisé un même outil : un tableau de marche d’obtention des différentes estimations. Nous avons donc construit une matrice avec sur l’axe vertical l’ensemble des exigences et sur l’axe horizontal les équipes concernées. Nous avons ensuite fixé une date sur un Post-it rouge sur chacune des cases concernées. Lorsque l’estimation est obtenue et validée, le Post-it est remplacé par un autre de couleur verte. Bien évidemment, les dates prévues d’obtention des estimations sont données en fonction de la date butoir.

5. matrice estimations
5 Matrice de suivi des estimations de charges

Conclusion : ce que l’équipe a appris

Pour chacun des deux projets, nous avons livré la note de cadrage en moins de 12 semaines. À chaque fois, la semaine précédant la livraison était une semaine de grande sérénité : il nous restait quelques exigences fonctionnelles à valider et à estimer ; l’équipe savait qu’elle allait réussir, car elle avait validé son processus de production et avait supprimé les obstacles qui l’avaient empêché de réussir les semaines précédentes.

L’Obeya a permis un alignement de l’équipe avec la vision de la direction et une grande collaboration au sein de l’équipe. Le flux tiré a permis de s’organiser dans un flux de production et, une fois les obstacles éliminés, a permis à l’équipe d’avancer sereinement et d’atteindre son objectif. L’équipe a appris à livrer une note de cadrage dans les temps : les phases d’étude ne seront plus cette étape chaotique et difficile des projets. Enfin, last but not least, les chefs de projets ont appris à utiliser les différents leviers opérationnels et d’animation pour faire réussir leur projet. L’évolution de leur mode de pilotage et de la nature des questions qu’ils posent lors de l’animation des réunions d’Obeya est, pour nous les coachs, la plus grande source de satisfaction, car c’est cette approche du pilotage qui a permis, à deux reprises, d’atteindre les objectifs de délai avec un livrable de qualité.

Cet article est extrait de l’ouvrage #hyperlean en action – pratiques du management à l’ère du numérique

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