
J’ai rencontré Bertrand de Graeve dans les locaux d’Operae Partners alors qu’il venait passer un entretien. Je lui ai proposé de prendre un café et j’ai tout de suite été emballé par son côté chaleureux et son expertise Lean, qu’il avait développée dans le monde de la distribution aux côtés d’Olivier.
Nous avons beaucoup appris l’un de l’autre : moi sur comment mener un Gemba (la question “qui livre quelle valeur à qui et avec quel niveau de qualité ?”) ; lui sur comment appliquer ces pratiques dans le monde du numérique. Durant les trois années que nous avons vécues en tant que collègues, nous avons mené de belles missions et n’avons pas trop hésité à célébrer les petites victoires que nous avons permis d’obtenir aux équipes que nous accompagnions. J’ai ainsi découvert dans ces soirées sa personnalité entière, généreuse et attachante, et notre passion commune pour l’écriture de chansons. C’est devenu un ami à qui j’ai en outre demandé de coacher notre équipe Lean de OCTO suite à la lecture de ce livre, tant nous l’avons tous trouvé éclairant.
J’ai découvert le travail de Olivier René un peu après ma rencontre avec Bertrand, lors d’une conférence Lean dans les services. Un parcours remarquable avec une petite dizaine d’années chez Toyota à Valenciennes où il a été formé par des coachs de l’entreprise japonaise au lean originel. Olivier a développé une connaissance profonde du sujet, mais a aussi hérité de la grande élégance pédagogique de ses senseis, avec une plume qui simplifie les propos et les rend très accessibles.
L’ouvrage Le Lean au Cœur des Services propose ainsi un tour de force remarquable en ce qu’il propose simultanément une description profonde et complète de ce système de management tout en en restant pédagogique et simple d’accès. Les exemples donnés pour illustrer la théorie sont à ce titre remarquables d’éloquence et de clarté.
Les deux auteurs décrivent en introduction du livre leur parcours respectif, un élément essentiel car la découverte du lean est un parcours personnel d’apprentissage : rien ne l’illustre mieux que cette dimension biographique, à chaque fois initiée par une révélation sur le Gemba.
L’ouvrage est structuré en trois parties : la première pour présenter les quatre principes du Toyota Production System (TPS), le système de management opérationnel ; la seconde pour présenter les priorités du manager Lean ; la troisième pour décrire la trajectoire de transformation, organisée autour des deux piliers que sont l’amélioration des processus et le changement des mentalités et des façons de penser, en s’ancrant dans l’historique de l’entreprise.
Une description théorique à chaque fois éclairée par des exemples d’une simplicité pédagogique remarquable (le coiffeur, le boulanger) ou par des études de cas. Ainsi l’exemple de la mise en place du Kanban dans une équipe informatique ou encore la description incrémentale de la réalisation d’une VSM dans une équipe d’Octroi de services financiers donnent envie de se lancer tout de suite sur ces sujets tant cela semble actionnable et accessible.
Dans l’ensemble du livre, on trouve cette rigueur joyeuse, cette bienveillance à l’égard des femmes et des hommes de l’entreprise. Une lecture fortement recommandée que Olivier et Bertrand ont eu la gentillesse de discuter avec #hypertextual.
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1/ La préface de Didier Leroy en début de livre insiste sur le fait que la transformation est le sujet du dirigeant qui doit impulser ce changement d’état d’esprit. Est-ce une volonté que vous retrouvez chez les dirigeants que vous accompagnez ? Quand ce n’est pas le cas, comment amenez-vous le dirigeant à comprendre ce rôle fondamental qu’il a dans la transformation ?
Olivier : Le dirigeant a souvent conscience qu’une démarche lean consiste en une conduite du changement. De ce fait, il pressent que son rôle est essentiel pour l’impulser sans pour autant bien le comprendre. Parfois le dirigeant pense que son rôle se cantonne à donner les moyens pour avoir en retour des résultats tangibles et il n’a pas toujours conscience que c’est lui qui donne le “la” de l’état d’esprit de son entreprise en l’incarnant lui-même au quotidien auprès de ses équipes. C’est alors notre rôle de coach (senseï) de lui en faire prendre conscience. Le rôle majeur du senseï est d’observer le comportement du dirigeant et de pouvoir le questionner et lui donner des feedbacks. L’accompagner lors de Gemba est pour cela idéal.
2/ Un élément que j’ai beaucoup apprécié à la lecture de votre livre est l’économie de mots, qui permet d’avoir le maximum d’effet avec le minimum d’effort : un authentique geste de rédaction Lean. A titre d’exemple la phrase « La passion de bien faire les choses passe par la passion de développer les gens ». Pouvez-vous nous expliquer un peu plus précisément ce que cela signifie pour vous ?
Bertrand : Toyota a imposé son leadership mondial grâce à une excellence opérationnelle bâtie sur le développement des savoir-faire et du savoir-être de ses collaborateurs comme de ses managers et dirigeants, Il s’agit de la traduction de la phrase devenue célèbre dans le monde du lean “Monzokuri wa Hitozukuri”.
Dans les entreprises, être passionné par le produit ou le service proposé est une bonne chose, certes… Cependant, comme pour Toyota, nous accordons plus d’importance à la passion, la volonté farouche quotidienne qu’il est nécessaire d’avoir pour faire monter en compétences les personnes qui développent le produit ou le service. C’est grâce à cette volonté, rendue visible de façon concrète sur le terrain chaque jour, que l’on peut obtenir une véritable excellence sans avoir à faire preuve d’autoritarisme.
Comme pour Toyota, nous accordons plus d’importance à la passion, la volonté farouche quotidienne qu’il est nécessaire d’avoir pour faire monter en compétences les personnes qui développent le produit ou le service. C’est grâce à cette volonté, rendue visible de façon concrète sur le terrain chaque jour, que l’on peut obtenir une véritable excellence sans avoir à faire preuve d’autoritarisme.
(Bertrand)
3/ Dans sa présentation Bertrand évoque la visite terrain dans laquelle on note les activités des employés dans la mise en rayon, une expérience qui sert d’épiphanie. Comment provoquez-vous ce genre d’épiphanies chez vos clients ?
Bertrand : Effectivement, même si je ne me souviens pas avoir mangé la galette lors de ma première visite terrain “lean” lors de laquelle j’ai observé plusieurs personnes travailler avec une méthode bien précise, cette façon de faire m’a permis d’être concentré sur le processus et de comprendre son efficacité. Ce jour-là, j’ai noté et mesuré toutes les activités sur l’ensemble du processus ainsi que les obstacles que les personnes rencontraient.
J’en profite pour rappeler un point qui a son importance : on observe et on mesure pour comprendre l’efficacité du processus et les impacts des obstacles sur le temps qui passe. On ne mesure pas pour augmenter les cadences (on n’est pas chez Taylor !).
Jusque là, les nombreuses visites terrain que j’avais faites en quinze ans ne m’apportaient pas autant.. Cette façon d’observer activement a été pour moi un révélateur incroyable.
Alors, pour provoquer chez nos clients les mêmes révélations, nous organisons des visites terrain en utilisant cette même méthode. Pour les observateurs, ces séances sont toujours riches d’enseignements. On ne compte plus les effets « Waow » exprimés par les managers et les dirigeants. D’ailleurs nous racontons quelques exemples très concrets dans le livre.
4/ Votre présentation du Jidoka est particulièrement intéressante. Vous expliquez qu’il s’agit là d’un levier de développement de l’autonomie des collaborateurs. Pouvez-vous expliquer le sens que vous mettez derrière cette description ?
Olivier : Nous sommes toujours étonnés de voir comment ce deuxième pilier du TPS n’est pas appréhendé simplement par comparaison au premier pilier du juste-à-temps. Sur le web, dans les blogs ou les ouvrages de référence sur le lean, le premier à immédiatement trouvé sa traduction en anglais ou en français de manière unanime alors que le second est encore aujourd’hui en japonais avec des explications toujours très variées. Et quand il y a une tentative de traduction c’est par le mot “autonomation” qu’il est le plus fréquemment traduit ! Autant dire une traduction incompréhensible et de surcroît très pauvre pour le second pilier de la maison du lean. Pour autant chacun a bien compris comment le jidoka se décline de manière opérationnelle dans un processus :
- Écarter en temps réel les défauts par de l’auto-contrôle pour empêcher qu’ils n’aillent plus loin dans le flux ;
- S’arrêter pour résoudre les défauts plutôt que de continuer à en générer d’autres que l’on va chercher à écarter ;
- Mettre en place des actions (détrompeurs Poka Yoke) pour éviter de générer à nouveau des défauts dont l’origine est maintenant connue.
Il suffit de se poser la question du « à qui » le jidoka s’adresse pour réaliser cela ? Ce n’est pas à l’ingénieur de production ni au chef d’atelier, c’est aux opérateurs ! Jidoka signifie tout simplement rendre les opérateurs autonomes et responsables. La fracture, peut-être pas à ce jour assumée, avec le taylorisme se situe là.
C’est pour cette raison que nous avons eu à cœur de rappeler l’étymologie du mot jidoka dans l’histoire de Toyota. La première signification historique donnée par Sakichi Toyoda à la fin du xixe siècle était «l’autonomie des machines (自動化)». Plus tard, dans les années 1950, Taiichi Ohno transforme le terme jidoka (自働化) pour lui donner la dimension définitive du lean : l’autonomie des collaborateurs. Taiichi Ohno traduisait jidoka par « donner par soi-même plus de sens à son travail ».
Il suffit de se poser la question du “à qui” le jidoka s’adresse pour réaliser cela ? Ce n’est pas à l’ingénieur de production ni au chef d’atelier, c’est aux opérateurs ! Jidoka signifie tout simplement rendre les opérateurs autonomes et responsables. La fracture, peut-être pas à ce jour assumée, avec le taylorisme se situe là.
(Olivier)
5/ Vous expliquez aussi que chez Toyota les sujets principaux de préoccupations sont de nature opérationnelle : qualité, coûts, délais et de satisfaction client. Comment expliquez-vous que ces sujets opérationnels soient si peu les sujets principaux des grandes entreprises et qu’on leur préfèrent les sujets organisationnels ou financiers ?
Olivier : La gestion comptable et financière est nécessaire pour la finalité économique de l’entreprise. Mais elle n’est pas à l’origine de la création de valeur, tout le monde en a conscience. Le problème des grandes entreprises, c’est de n’avoir une lecture opérationnelle de la création de valeur que par la lecture du compte d’exploitation et du bilan. Hors compte d’exploitation et bilan ne sont qu’une modélisation macroéconomique très réductrice du réel. Comment modéliser économiquement l’insatisfaction d’un client ou l’irritant d’un collaborateur ?
Quand l’un ou l’autre devient visible économiquement, le mal est fait depuis trop longtemps ! Seuls le gemba et le problem solving permettent une vraie appréciation et compréhension du réel opérationnel. Dans une petite structure le dirigeant côtoie au quotidien sa réalité opérationnelle tant auprès de ses clients que de ses équipes. De manière naturelle, il pratique le gemba et la résolution de problème. Parfois le dirigeant manque de méthode mais il incarne au moins la posture. Dans les grandes entreprises, nous constatons souvent que la posture manque en plus de la méthode ! C’est pour cette raison que le Lean interpelle le dirigeant sur la nécessité de mener cette transformation culturelle en montrant l’exemple par la pratique du gemba et du problem solving d’une part et d’arrêter, d’autre part, de prendre un problème sous l’angle économique qui n’est qu’une des conséquence du problème mais en rien la clé d’entrée ni l’origine du problème.
6/ Il y a cette révélation particulièrement contre-intuitive que vous partagez dans le contexte d’un problème magasin : « s’il fallait raisonner en termes de priorité pour le traitement des ruptures, ce sont au contraire les familles de produits les moins vendus dont il faudrait s’occuper en priorité pour avoir le meilleur impact sur le client et, finalement, le meilleur impact économique pour l’entreprise ». Comment le Lean aide-t-il à rendre tangible ce type de révélation ?
Bertrand : C’est en ça que le Lean est formidable… Les outils proposés sont puissants. La résolution de problèmes (PDCA) n’échappe pas à cette règle. Rendre factuel un problème, en comprendre le contexte, les impacts, valider les causes par des observations sur le terrain, mettre en place des actions, contrôler leur pertinence en mesurant et enfin, tirer des enseignements pour ajuster ou acter.
Lors de cet exercice de résolution de problème porté par Olivier, il nous aura fallu deux boucles. Comme les autres, nous avons suivi notre intuition et considéré qu’il était nécessaire d’agir sur les meilleures ventes. Or, nous nous sommes trompés. J’explique :
- Lorsque dans un hypermarché, un client vient chercher un article précis dans une famille d’articles qui se vendent bien, s’ il est en rupture, le client aura alors plusieurs autres choix (un format différent, une autre marque, un parfum différent…). Par contre, si le client a besoin d’une clé de douze plate (article à vente faible) et que l’article est en rupture, il n’aura pas d’autre choix, le magasin aura donc perdu la vente.
- De plus, certains articles à ventes faibles ont un impact fort sur la fidélisation des clients (les produits bio, le lait pour les bébés, les produits contenant des Oméga 3, les produits diététiques ou sans gluten…Etc. En tant que client, si les ruptures de ces produits sont fréquentes, le magasin pourra potentiellement perdre les ventes mais pourra également perdre le client qui finira par aller chercher ces produits ailleurs.
Les points de contrôle (le C du PDCA) pour mesurer la pertinence de nos actions nous ont permis de nous rendre compte que nous n’avions pas pris le bon chemin la première fois. Nous avons ajusté et montré l’importance d’agir prioritairement sur les produits peu vendus et sensibles à la fidélisation. C’est la force du PDCA.
7/ A une époque dans laquelle les employés sont considérés comme des commodités vous avancez une autre vérité contre-intuitive : « seuls les femmes et les hommes peuvent être les moteurs d’une amélioration continue, à condition de savoir travailler ensemble, dans le respect mutuel et la collaboration. » Est-ce à dire que tous ces processus que nous avons passés 15 ans à figer dans l’informatique ne permettent pas d’améliorer l’entreprise ?
Olivier : Tous les systèmes d’information ne se ressemblent pas heureusement ! Mais c’est vrai que l’informatique peut tout figer quand les workflow et interfaces associées sont définis par une poignée d’ingénieurs qui scellent complètement le “qui” fait “quoi” “comment” et “quand” dans les moindres détails. Il y a que le “où” qui généralement en réchappe ! Nous sommes chez Taylor dans sa verticalité où les cols blancs définissent et contrôlent comment les cols bleus doivent exécuter leurs tâches et dans son horizontalité où l’activité, dans son découpage en tâches et son ordonnancement, est bien figée effectivement.
Nous avons tous en tête tant de situations ubuesques du fait du piège du : “le système ne le permet pas, désolé !”. L’informatique s’est historiquement développée à l’image des métiers du bâtiment avec une maîtrise d’ouvrage, une maîtrise d’œuvre et une équipe d’ architectes.
Cependant, contrairement à un bâtiment qui peut évoluer facilement dans son aménagement ou sa décoration mais très peu dans sa structure, le SI est totalement figé du macro au micro. Planter un clou pour accrocher une nouvelle étagère ou déplacer une canalisation se fait en autonomie par les occupants du bâtiment à la différence du SI où modifier un écran peut se révéler mission impossible.
Nous sommes toujours étonnés de voir comment la maintenance applicative est si peu considérée et si peu dotée en ressources. D’ailleurs c’est souvent une DSI taylorisée qui auto-génère un SI taylorisé. Quand l’informatique segmente son organisation entre le “Projet” et le “Run” d’une part et découpe la chaîne de valeur dans des équipes distinctes pour massifier et spécialiser chacune d’elle (recueil du besoin, traduction en spécifications fonctionnelles, codage, test, mise en production…), tout est mis en oeuvre pour rendre compliqué la moindre évolution.
L’apparition de la pensée Lean dans le monde du SI vient heureusement y remédier, c’est l’agilité :
- Dans son architecture où les différentes fonctions applicatives sont développées et pensées de manière modulaire et indépendantes avec des protocoles de communication standard (API).
- Dans son organisation où les équipes pluridisciplinaires se forment autour de besoins métier.
- Dans le cycle de vie de l’application, où nouveaux besoins et amélioration de l’existant sont regroupés à travers de fréquents petits cycles d’évolution.
Quand l’informatique segmente son organisation entre le “Projet” et le “Run” d’une part et découpe la chaîne de valeur dans des équipes distinctes pour massifier et spécialiser chacune d’elle (recueil du besoin, traduction en spécifications fonctionnelles, codage, test, mise en production…), tout est mis en oeuvre pour rendre compliqué la moindre évolution.
(Olivier)
8/ Vous utilisez des exemples particulièrement simples et pédagogiques (l’exemple du salon de coiffure pour le flux ou celui du boulanger avec le Heijunka – le mix produit). Que répondez-vous à vos clients qui vous disent que leur contexte est beaucoup plus complexe et que ces principes ne fonctionnent pas chez eux ?
Olivier et Bertrand : Tout d’abord rappeler qu’une usine Toyota qui fabrique différents véhicules qui se déclinent eux-mêmes en plusieurs milliers de variantes est très complexe ! Ensuite rappeler que pour affirmer que des principes ne fonctionnent pas quelque part, il faut d’abord les essayer, s’y confronter ! Bien sûr, il ne faut pas chercher à copier les solutions du Heijunka “clés en main” d’une usine Toyota pour les coller à une activité de service par exemple. Il faut d’abord bien en comprendre le sens, les implications en termes d’organisation et de philosophie. C’est la valeur ajoutée du coach Lean. Ensuite il faut trouver la méthode appropriée pour mettre en œuvre les différentes étapes du juste-à-temps dans le contexte spécifique du client. Là se trouve la valeur ajoutée de l’expert Lean.

9/ Vous évoquez que l’andon est une application très pragmatique du Servant Leader puisqu’il se met alors au service du collaborateur qui voit un problème qu’il ne sait résoudre. Dans des organisations liées à des services très complexes (en particulier le numérique) il existe de nombreux managers qui connaissent peu la dimension opérationnelle et ne sont pas nécessairement en mesure de répondre à des demandes techniques de collaborateurs (exemple sujet très pointu sur la programmation ou la configuration d’environnements). Comment implémenter l’Andon dans ce type de contexte ?
Olivier : l’Andon c’est d’abord pouvoir (dans le sens de avoir le pouvoir de) s’arrêter pour traiter en temps réel un problème qui vient d’apparaître. Dans un souci d’efficacité (pour ne pas perdre trop de temps), l’Andon est aussi là pour informer celui qui peut venir en aide dans le traitement même du problème comme dans sa résolution si celui-ci s’avère récurrent. Souvent un collègue ou le leader de l’équipe a l’expertise nécessaire pour venir en aide. Là se trouve une des dimensions Lean du collectif. Si l’expertise n’est pas à proximité, c’est le rôle du leader ou du manager d’escalader immédiatement pour faire intervenir la bonne ressource. Maintenant si le leader ou le manager est déconnecté de la dimension opérationnelle dont il a la responsabilité, ce n’est pas un problème d’Andon mais plutôt un problème de Gemba !
10/ Sur le « Do » du PDCA, vous expliquez qu’il est important d’être sur le terrain pour suivre la mise en œuvre des contre-mesures « comme on surveille le lait sur le feu ». Pour quelle raison ?
Olivier et Bertrand : Tout simplement car entre le “comme prévu” (Plan) et le “réalisé pour de vrai” (Do) il peut toujours y avoir un écart suffisamment important dans la mise en oeuvre pour biaiser la mesure du résultat final (Check) ! C’est déjà vrai quand on prévoit de réaliser une activité connue et habituelle avec l’apparition d’un incident nouveau ! Mais dans le cadre d’un PDCA, où par essence nous allons introduire une nouvelle manière de procéder, nous devons avoir conscience que nous sommes en risque maximal que cela ne se déroule pas comme prévu. Nous sommes hors standard, en situation de gestion du changement du processus (Henkaten). Ne sachant pas comment le lait peut se mettre à bouillir de manière inopinée, il faut le surveiller, c’est-à-dire faire du Gemba ! L’exemple du problème des ruptures de produits en hypermarché, raconté de façon synthétique à la question 6, en est une bonne illustration.
11/ Vous avancez cette proposition audacieuse qui résonne en partie avec ce que Masaaki Imai explique dans son livre Kaizen : sans amélioration continue, l’innovation technologique est vaine. Pouvez-vous expliquer ce point de vue plus en détail ?
Olivier : Nous prônons une innovation continue car amélioration continue et innovation sont complémentaires et liées. Liées car un Kaizen est peut-être une petite innovation à l’échelle de l’entreprise mais souvent une grande innovation à l’échelle de l’équipe qui l’a réalisé.
Complémentaire, et c’est à ce sujet que nous parlons d’innovation technologique, lorsque celle-ci n’a plus pour origine l’équipe elle-même mais une ingénierie extérieure qui la dépasse. Nous prenons l’exemple de l’apparition du code barre dans les passages en caisse dans les années 90. Révolution technologique avec la suppression d’un travail fastidieux pour les hôtesses qui devaient saisir un code article : gain de temps énorme et suppression des erreurs de saisie. Pour autant nous pouvons toujours constater aujourd’hui que le code barre <illisible> ou <inconnu> est le premier dysfonctionnement observable et le premier des irritants d’une hôtesse de caisse. Tout cela pour dire qu’une innovation technologique doit s’accompagner d’une amélioration continue pour la faire vivre.
Prenons l’exemple de l’apparition du code barre dans les passages en caisse dans les années 90. Révolution technologique avec la suppression d’un travail fastidieux pour les hôtesses qui devaient saisir un code article : gain de temps énorme et suppression des erreurs de saisie. Pour autant nous pouvons toujours constater aujourd’hui que le code barre <illisible> ou <inconnu> est le premier dysfonctionnement observable et le premier des irritants d’une hôtesse de caisse. Tout cela pour dire qu’une innovation technologique doit s’accompagner d’une amélioration continue pour la faire vivre.
(Olivier)
12/ Vous insistez sur l’importance du manager à se rapprocher de la réalité du terrain. Nous avons aujourd’hui cet étrange paradoxe : des managers qui sont de plus en plus loin du terrain et du client et qui se plaignent du manque de sens de leur travail. Pensez-vous qu’il puisse y avoir là un lien de causalité qui ne soit pas compris par cette population ?
Bertrand : Il y a trois ans, j’ai eu la chance de travailler avec une équipe support pour une grande entreprise. Cette équipe obtient rapidement des résultats significatifs, Le manager que je croise quelques minutes de ci, de là prend parfois le temps de me donner quelques consignes ou des éléments de compréhension concernant certaines situations.
Quelques mois se passent et la période des vacances arrive. Le manager a enfin du temps pour échanger vraiment et j’en profite. Comme il n’est jamais présent, j’aborde avec lui la thématique des activités à valeur ajoutée du point de vue du manager. A la suite de cet échange, je lui propose de mesurer le temps qu’il passe à développer les compétences de ses collaborateurs.
Ce manager se rend alors compte qu’il y consacre trop peu de temps. Il profite de l’été pour changer ses pratiques. En outre, il bloque des créneaux dans son agenda pour être présent avec ses équipes (Gemba et questionnement). L’équipe monte alors encore en compétence et d’un cran en termes de performance. Le manager redécouvre les membres de son équipe et trouve davantage de sens dans son métier.
Je crois que cet exemple illustre parfaitement la corrélation entre le sens du travail lorsque l’on est manager et le fait de se rapprocher du terrain.
13 / Dans la partie sur la transformation vous proposez une maison de la transformation et vous évoquez aussi les notions de « conduite du changement » ou de « culture », des notions que l’expert Lean Michael Ballé récuse pour ce qui est du Lean. Comment le convaincriez-vous de la pertinence de la prise en compte de ces deux éléments pour le Lean ?
Olivier : Le Lean management est avant tout une manière de penser le fonctionnement de l’entreprise. Le lean a donc nécessairement un impact sur la culture de l’entreprise. Une transformation lean est une transformation culturelle de l’entreprise. Je n’ai jamais entendu Michael Ballé dire le contraire il me semble. Maintenant si la question est : “faut-il être de culture japonaise pour accéder au lean ?”, la réponse est clairement non. Toyota a déployé le Lean avec le même succès sur tous les continents auprès d’équipes anglo-saxonnes, chinoises, turques, russes… et même gauloises à Valenciennes ! Mais le chemin et l’effort pour y parvenir n’ont pas été les mêmes !
14/ Sur la partie améliorer les processus vous insistez sur le fait que vous pilotez la performance des processus plutôt que celle des femmes et des hommes. Une fois encore une très belle proposition simple, vertueuse et pédagogique. Comment faites-vous dans des contextes où la culture des primes personnelles au résultat est très prégnante ?
Bertrand : Dans une de mes expériences précédentes, j’ai été très marqué par le fait que l’on puisse considérer un manager et son équipe comme ayant une mauvaise performance une année alors que cette même équipe et son manager avaient été propulsé dans la lumière l’année précédente. En position de Middle Manager et devant faire passer les évaluations annuelles impactant les augmentations de salaire, j’étais dérangé dans mes valeurs par cette façon de faire.
Avec le Lean, le focus est d’abord mis sur la satisfaction client. Pour cela, il faut des processus efficaces (qualité, temps, coût, capacité à transformer) et des managers présents sur le terrain privilégiant une posture de coach.
Dans les entreprises où la culture de la prime est prégnante, nous essayons de faire changer les choses avec l’appui des dirigeants et/ou des managers. Par exemple, transformer la prime individuelle en prime basée sur les résultats de l’équipe ou sur la satisfaction des clients.
Ce genre de changement génère des craintes, aussi nous proposons toujours une étape de test avant le fait d’acter le changement. Cette étape de test est plus facile à accepter.
Merci beaucoup et bonne continuation messieurs !
Excellent interview. Très hâte de découvrir l’ouvrage dans sa totalité. Bouquin commandé 🙂
Merci Rémi, un livre très pédagogique.