Ce que signifie la Transformation Digitale

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Alors que la transformation digitale (rappel : le qualificatif digital est approprié en français, inélégant mais approprié) est devenue un des enjeux majeurs des organisations, on a parfois du mal à se représenter à quoi cela correspond et à imaginer par quel bout prendre le sujet. Qu’entend-on par cette expression ? Quels sont les enjeux que cette transformation implique ?

Ce billet est le premier d’une série sur le sujet. Il a pour objet d’apporter un éclairage en proposant une définition et en en exprimant les enjeux.

Définition

Dans la longue interview qu’il a accordée à #hypertextual, Ludovic Cinquin, DG Octo France, en apporte une définition fulgurante : la transformation digitale c’est l’exploitation radicale des possibilités d’internet.

En développant cette notion, on peut avancer que cette radicalité s’exprime selon trois axes :

  • le temps : avec la notion de temps-réel, internet abolit le temps
  • l’espace : avec l’ubiquité qu’offre la mobilité
  • l’universalité : avec l’accès à la multitude, internet abolit les limites au potentiel d’audience

Si il est nécessaire d’exploiter cette radicalité c’est parce que c’est cette même radicalité qui est à l’origine des changements rapides et brutaux de la réalité du marché aujourd’hui.

Abolir le temps

Google répond à vos recherches en 300ms. Une anecdote que je trouve particulièrement éclairante sur notre nouveau rapport à l’immédiateté est celle rapportée par l’ancien CIO de Google Douglas Merrill.

“Nous pensions que nos utilisateurs apprécieraient que l’on passe de 20 à 40 réponses pour une demande de recherche. En fait nous avons perdu 20% de clients. Pourquoi ? Parce qu’en affichant 40 réponses on doublait le temps de réponse et passait de 300 à 600 millisecondes. Insupportable pour 20% de nos clients.”

Abolir l’espace

Aujourd’hui 83% de l’utilisation d’internet se fait via ces appareils mobiles. C’est à dire hors de chez soi ou du bureau : on se connecte de tout endroit en toute circonstance.

A l’USI en 2008 Michel Serres a apporté un éclairage supplémentaire sur l’émergence d’un nouvel espace

Non seulement ce nouvel espace est un espace topologique dans lequel les distances ont disparu, mais il s’agit d’un espace hors des lois

Accéder à la multitude

Il y a aujourd’hui 1 Milliard 750 millions d’utilisateurs de smartphones. Voilà l’audience potentielle de n’importe quel entrepreneur d’une activité en ligne. L’exemple de Airbnb est à ce titre saisissant. Il leur a fallu 4 ans pour proposer 600.000 chambres quand il en a fallu 93 aux hôtels Hilton.

Si l’on regarde les grandes innovations numériques qui ont bouleversé nos modes de vie ces 10 dernières années, ce qui est le plus frappant c’est moins le nombre d’entre elles que l’immense niveau d’adoption. Ainsi Facebook a cru au rythme de 200 Millions de nouveaux utilisateurs par an au début des années 2010. Cela sous-tend un autre sujet, celui de l’usabilité : la multitude se mérite et ne s’obtient que si la friction technologique est faible et la valeur proposée élevée.

Vivre l’expérience de la radicalité

Un petit exercice tout simple,  pour goûter cette radicalité suivant les trois axes : suivre et commenter un match de football (ou un évènement quelqu’il soit ayant un #motDièse) sur votre application mobile Twitter, simultanément avec des centaines milliers, voir des millions d’autres personnes. (Exercice que je pratique malgré moi car je ne dispose pas de télévision dans mon pied à terre parisien : je conserve ainsi un souvenir très ému du #FRAUKR de Novembre 2014).

Un système pour lutter contre nos modèles mentaux

Lorsque Taiichi Ohno, s’appuyant sur les travaux de Sakichi Toyoda et Shigeo Shingo, a élaboré le système de production Toyota, il s’est basé sur une intuition splendide : les fausses idées que nous nous faisons au sein de l’entreprise au sujet de nos clients, de nos processus, de notre logistique, de la valeur de nos produits etc … sont une source incommensurable de gaspillages et de coûts pour l’organisation. La mise en oeuvre du Lean depuis 60 ans, dans différentes organisations et différents pays a prouvé combien cette hypothèse était visionnaire.

Son objectif avec le TPS a été de construire un système qui allait mettre à jour ce fruit empoisonné de nos modèles mentaux, et permettre de les traiter pour coller le plus possible à l’inconfortable réalité externe (le marché) et interne (la performance opérationnelle de l’entreprise). Il s’agit du pilier de l’agilité de la pensée Lean.

Lean Digital : Build, Measure, Learn

C’est sur cette même intuition que l’approche Lean Startup s’est appuyée pour formaliser LE logiciel des entreprises du numérique : Build, Measure, Learn, c’est à dire construire, mesurer, (ajuster et), apprendre.

L’hypothèse que défend le Lean Start-up est que dans un contexte incertain et imprévisible, l’approche expérimentale est le mode de fonctionnement le plus résilient qui soit.

On peut aujourd’hui avancer que cette hypothèse est complétement validée par l’échelle et la rapidité du succès des géants du numérique. En appliquant ce logiciel en boucle infinie (construire, mesurer, apprendre), les entreprises du numérique établissent un rapport à la réalité adapté aux changements de celle-ci, en faisant levier de la radicalité d’internet : temps-réel, ubiquité et multitude. Ces trois éléments se combinent pour offrir des océans de données desquels nous allons construire ce qu’Eric Ries appelle de la Connaissance Validée.

Enjeu

L’enjeu de la transformation digitale pourrait être résumé ainsi :

Exploiter la radicalité des capacités d’internet (temps-réel, ubiquité, multitude) pour construire et ajuster en permanence :

1/ une connaissance validée de la réalité du marché, d’aujourd’hui, afin d’élaborer les produits et services les plus adaptés pour y répondre

2/ une connaissance validée de la réalité de l’organisation et des processus pour livrer le plus rapidement ces produits et services

La rapidité est essentielle en ce qu’elle nous permet de coller au plus près d’une réalité mouvante à des fréquences et amplitude très élevées. J’ai en tête ce triste exemple du développement d’une application mobile que nous avions livrée en 1 an pour se rendre compte que le marché s’était déplacé et que notre produit n’intéressait plus personne.

L’étoile du nord

La définition de Ludovic s’appuie sur l’étude approfondie que Octo a mené sur les géants du web.  A travers les GAFAs et autres leaders des services en ligne, la digitalisation de l’entreprise a une étoile du nord, une incarnation, des modèles. Nous ne sommes pas ici dans de l’incantation démagogique ou technophile.

Anti-Pattern

Nous ne sommes pas non plus, comme on peut malheureusement le voir parfois, dans une stratégie technologique (une confusion identifiée par Nicolas Colin) avec des sujets tels que la virtualisation des postes de travail ou la migration à une nouvelle version de logiciel d’entreprise ou de bureautique “sur le cloud” (signe avec les doigts).

Pouvez vous imaginer une seconde Google ou Facebook se lançant dans une telle initiative ? C’est un peu plus disruptif et compliqué que cela.

Benchmark

Quelle est votre définition de la transformation digitale ? Quels en sont les enjeux ? Comment saurez vous si vous êtes sur la bonne voie ? Demandez à 10 personnes de votre entreprise. Y-a-t-il convergence ? S’il n’y en a pas, organisez-vous pour en avoir une définition simple (une phrase, 10 mots) que vous partagerez ensuite. Comment allez vous vous y prendre ?

En déléguer la responsabilité à une personne, fut-elle Chief Digital Officer, a très rarement été une stratégie menant au succès dans ce genre d’initiative.

Nous proposons plutôt de l’établir suivant 7 points cardinaux … (à suivre) : deuxième partie.

Cet article est extrait de l’ouvrage #hyperlean – ce que signifie l’avènement du numérique

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13 Comments

  1. Il y a un détail qui me gène. Dire que la transformation digitale est l’exploitation d’internet c’est, à mon avis confondre le but et les moyens. D’ailleurs la transformation digitale est elle un objectif, une destination ? Pour moi elle est plutôt le chemin ou le cap.

  2. Ce n’est pas l’exploitation d’internet mais de ces capacités ce qui n’est pas la même chose.

    Internet est une juste technologie. Mais ses capacités sont elles de rupture. C’est cela qui offre des perspectives complètement nouvelles.

  3. Oui mais ça reste un moyen un outil. Pour moi il doit y avoir un objectif “biz”, décliné en orga et opérationnel que tu atteins grâce à internet.

    Je réflechis comme toi au sujet en ce moment et j’en arrive à la conclusion que la grande erreur c’est de se dire “bon…comment on tire le meilleur d’internet” sans trop savoir pourquoi, sans business model derrière.

    Mais ça n’a rien de nouveau.

  4. L’aspect biz est traité dans la suite de l’article. Le détonateur et l’océan d’opportunités résident dans ces capacités.

  5. Associer le concept de réalité aux concepts d’imprévisibilité et d’incertitude interroge. Il s’agirait donc en l’espèce apparemment d’une réalité éphémère, valable uniquement au moment ou on l’observe. Si tout se crée et se défait à grande vitesse, si le contexte est en mouvement permanent, cela annihile de fait la possibilité de la construction de long terme sur base des résultats des expérimentations. Ou si la réalité est stable, c’est que l’imprévisibilité et l’incertitude ne sont pas si élevés qu’il est estimé dans l’article. Beau dilemme….

  6. Je suis d’accord avec vous, l’exploitation d’internet est plutôt en rapport avec l’objectif.. Je vois la “transformation numérique” comme une démarche, la transformation d’un point A à un point B. Le numérique peut être un nouveau départ, mais les enjeux sont assez disparate du fait des différents domaine d’activité entreprise.

  7. De mon coté je vois la transformation numérique comme une démarche. La transformation d’un point A à un point B. L’exploitation d’internet peut être vu comme un objectif afin d’atteindre un but.
    L’entreprise vit dans un environnement qui change sans cesse. Avec l’évolution de la technologie l’organisation, la stratégie, les processus, la culture de l’entreprise doivent s’adapter au marché. Est ce que cela donnerai une démarche d’amélioration du business model ? Nous savons où aller, mais nous ne savons pas comment y aller ?…

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