(Photo : Mark Richards)(English Version)
Dans le précédent article, nous avons suggéré qu’une structure en réseaux était une nécessité pour bénéficier pleinement des innovations offertes par internet dans l’économie de la connaissance. Cette structure réticulaire permet de créer de la valeur à partir des multiples flots d’information qui innervent cette économie.
Après l’introduction voici le premier épisode de la série, épisode consacré au leadership. La proposition de cet article est que ce leadership s’incarne dans l’entreprise en réseaux à travers des principes simples et clairs plutôt que dans des valeurs ronflantes.
Voici pourquoi et comment mettre cette méthode de leadership en place.
Dans l’entreprise en silos …
… le leadership est articulé autour de valeurs. Ces valeurs sont brandies comme des étendards agissant comme des pôles magnétiques et donnant le cap à toute l’entreprise. Ces valeurs impliquent une croyance de la part des employés.
Le problème est qu’en y regardant de plus près on distingue rapidement une incohérence entre la perception qu’à l’entreprise d’elle même dans son rapport à ces valeurs et la réalité. Très vite les employés n’y croient plus et ne disposent plus de référentiel significatif leur permettant de garder le cap et prendre la bonne décision.
Depuis les années 90 et les scandales financiers (Enron etc …) l’image de l’entreprise s’est fortement dégradée. La dimension sacrée des valeurs de l’entreprise a été profondément remise en doute. L’équation du siècle dernier valeurs > culture > engagement a fait long feu.
Dans l’entreprise en réseaux …
… le leadership est articulé autour de principes simples et clairs. Ces principes sont appliqués par tous en toute circonstance : il ne s’agit pas de croyance mais d’actes. La simplicité dissipe l’ambigüité : il est donc très simple d’aligner ses actes sur ces principes. A contrario, il est beaucoup plus difficile d’aller à l’encontre de ces principes tout en prétendant les servir.
Dans l’entreprise en réseaux le management s’articule autour d’une dynamique de subsidiarité. L’approche command & control est remplacée par une approche beaucoup plus délégative en raison de deux motifs majeurs. En premier lieu, trop de contrôle inhibe l’innovation et la fluidité des opérations (le spectre de la lenteur bureaucratique). Ensuite, le manager du 21eme siècle est post-héroïque. Le niveau de complexité technologique, structurel, organisationnel etc … est tellement élevé qu’il est impossible pour le manager dans l’économie de la connaissance de tout comprendre, maitriser, et valider.
La conséquence est que les employés ont un grand nombre de choix à faire dans la routine de leur travail. Des principes simples et clairs leur permettent d’aligner leur décisions sur une ligne cohérente pour un optimum général.
Les exemples d’entreprise aux principes forts abondent. Apple et le minimalisme (“Say no to 1000th things to make sure you don’t get on the wrong track“), Google avec de la hiérarchie à plat et les 20% dédiés à l’innovation, HCL (“Employee first, customer second”), 37Signals (“get real and be opiniated”), WLGore (“make money and have fun”) : des entreprises qui font rêver et des leaders qui suscitent l’admiration.
Eloge de la simplicité
Michel Crozier est une sommité dans l’étude sociologique de l’entreprise. Son analyse (rapportée ici via un support de cours du CNAM) du rapport entre la simplicité du discours et l’adhésion des équipes est particulièrement intéressante :
Plus la communication est sophistiquée, plus elle est perçue comme simpliste, alors que le message simple de l’extérieur apparaît lui comme source de richesse, car il permet aux intéressés de le reprendre vraiment à leur compte et d’en discuter librement. L’engagement connu du patron, le fait que chacun soit persuadé de sa conviction contribue à donner une force considérable à un message simple.
Vous voulez apportez des principes auxquels vos équipes adhèreront ? Faites-en sorte qu’ils soient le plus simples possible. Gardez toutefois à l’esprit que “faire simple demande de profondes réflexions, de la discipline et de la patience, des choses dont manquent la plupart des entreprises” (37Signals).
Une direction accessible qui montre l’exemple
Dans l’entreprise en silos, il est plutôt rare que la direction échange directement avec les employés. Par ailleurs, il demeure une certaine opacité quant à ses activités et l’exemplarité de ses actions dans les valeurs ou principes de l’entreprise sont assez difficiles à constater au quotidien.
Dans l’entreprise en réseaux, les dirigeants savent que les principes suscitent d’autant plus d’adhésion et fournissent d’autant plus de sens qu’ils ont mis en oeuvre par la direction.
Intel a mis en oeuvre des réseaux sociaux internes car l’employé moyen d’Intel passait un jour par semaine à rechercher de l’expertise et des informations pour faire son travail nous apprend Laurie Buczek, Responsable RSE à Intel. L’Entreprise a évidemment communiquée une liste de principes simples et clairs pour guider les employés dans leur utilisation et le CEO Paul Otelinni a été un des premiers à publier régulièrement des articles dans son blog et à répondre aux commentaires des employés.
Ben Verwaayen de Alcatel / Lucent répond régulièrement aux questions des employés qui lui sont formulées dans l’application Ask Ben de l’intranet. Vineet Nayar de HCL quant à lui passe 7 heures par semaine à répondre aux questions de ses employés dont il a fait la priorité de l’entreprise : Employees First, Customer Second, principe de HCL que Fortune a qualifié de plus moderne idée du monde du management.
L’équipe de 37Signals est admirable dans sa définition et application de principes que l’on trouve consignés dans leur ouvrage Rework. Ce leadership 2.0 leur confère une influence et le statut de tenants d’une culture forte en tous points remarquables.
La liste est longue mais on peut citer ces 4 letter dirty words (must, can’t easy, just, only, fast) qu”ils ont bannis car ces mots formalisés dans une demande présupposent une rapidité et une simplicité d’exécution sourvent perçues comme insultes chez la personne à qui cette demande est adressée.
Des principes pour créer de la valeur
Dans un entretien avec Daniel Jeandupeux qui lui demandait quel était le secret de la beauté et de l’incroyable efficacité du jeu du FC Nantes 1995, l’entraineur des champions de France 94/95 qui ont pulvérisé plusieurs records Jean Claude Suaudeau répondit : un principe : pour créer du beau jeu, il faut toujours donner le ballon à un partenaire en mouvement.
On sent très bien en quoi ce principe guide mieux les joueur qu’une valeur telle que “mouiller le maillot”. Dans la centaine de décisions que doivent prendre les joueurs durant un match, ils ont un fil rouge simple, qu’ils peuvent mettre en oeuvre facilement dès qu’ils ont à faire un choix. Et en appliquant ce principe ils alimentent la culture du beau jeu.
Principe que nous avons paraphrasé dans notre équipe de développement logiciel : pour créer de la valeur, ne transmet pas d’information par mail, mais capture la sur notre plateforme collaborative.
Quels sont les traits culturels de votre organisation que vous voulez supprimer ? Quels principes clairs peuvent vous y aider ? Quel sont les principes qui incarnent le mieux la vision de votre entreprise ? Quel sont ceux qui permettront le plus clairement à vos équipes d’aligner leurs efforts et de guider leur choix dans le sens de votre stratégie ?
Bel éloge du mouvement. Avec le danger que cela devienne de l’agitation. D’où le besoin de pérenniser, de fixer, d’archiver, de capturer,etc, et de partager, d’insister donc sur les liens, physique ou non. Pour que les informations deviennent connaissances, puis savoirs. Sinon Sisyphe aura encore pas mal de pain sur la planche, et l’éternel recommencement gaspillera beaucoup de temps et d’énergie au fil des projets et du cours mouvementé lui aussi des carrières des uns et des autres, et donc de leur départ et arrivées.
Article très intéressant et révélateur des mutations qui s’opèrent aujourd’hui en entreprises.
Chez IBM, il est vrai que notre réseau social d’entreprise est très apprécié parce qu’il fait gagner un temps fou en permettant d’identifier facilement les bons interlocuteurs sur un sujet.
L’entreprise en réseau se manifeste aussi par les outils utilisés par le management. Notre PDG, Sam Palmisano, utilise par exemple SameTime (notre outil de messagerie instantanée) comme outil de management.
Bonjour Trémeur, merci pour votre commentaire. En fait il s’agit moins d’une éloge du mouvement qu’une éloge de l’action coordonnée et alignée.
Merci Renaud pour votre retour. Très instructif.