Peut-on être heureux sans travailler ?

philoMag89

“Si l’on a ni l’envie, ni la force, ni les moyens de larguer les amarres de la vie professionnelle, il y a peut-être une solution. Pourquoi ne pas aborder le travail différemment : comme une occasion de réfléchir, d’agir, de jouer ? Changer de perspective c’est prendre de la distance avec des enjeux souvent angoissants. C’est injecter un peu de détachement dans le travail. Travailler en philosophe en somme.”

L’excellent Philosophie Magazine propose dans son son numéro de Mai 2015 un dossier posant la question suivante : Peut-on être heureux sans travailler ? Un sujet délicat car il est si facile de s’adonner à la facilité démagogique, piège que n’évite Alexandre Lacroix le pourtant brillant directeur de la rédaction dans son éditorial.

Michel Eltchaninoff propose une perspective plus large et plus complexe dans un long article qui se conclut par la citation ci-dessus.

Ce que l’on regrette immanquablement dans ces réflexions hexagonales que ce soit depuis une perspective sociale (voir cet article de Télérama) ou philosophique, ce sont trois points suivants que l’on ne voit que trop rarement abordés.

1. Approche a-culturelle

Tout d’abord, on peut reprocher à cette approche un caractère universaliste, comme si cette problématique était a-culturelle et que l’on pouvait généraliser cette pensée française (pour ne pas utiliser une adjectif davantage péjoratif) du travail.

Il existe en effet des apriori culturels très spécifiques qui infléchissent notre perspective sur le travail. Voir à ce sujet les nombreux articles de #hypertextual sur le management.fr (qui définit comment nous travaillons) ou le blog incontournable de Benjamin Pelletier.

D’une manière plus précise, la relation au travail n’est pas la même dans un pays ou l’activité professionnelle sert davantage à mesurer la réussite sociale qu’à contribuer à l’épanouissement personnel. Comme me rapportait un ami américain, en France vous travaillez pour pouvoir construire des organisations alors que nous construisons des organisations pour pouvoir travailler.

2. Oubli de l’organisation publique

Le second point qui rend cette perspective très discutable, car pétrie d’idéologie sous-jacente, est que on y relie toujours l’aliénation du travail à des organisations privées, très rarement à des organisations publiques. Quiconque a déjà travaillé dans des collectivités ou organisations publiques sait comment le travail y a été complètement délesté de son sens par les absurdités bureaucratiques.

C’est d’ailleurs dans ce type d’organisations que le nombre de jours de congés maladie est le plus élevés. L’hypothèse la plus souvent avancée pour expliquer ce fait est que dans ces organisations, les gens peuvent prendre ces jours sans risque de représailles. C’est un hypothèse. Une seconde, qui me semble bien plus pertinente, est que c’est en raison de cette absence de sens que le travail y est insupportable et que les jours de maladie sont le plus nombreux.

Un intervenant dans Le Grain à Moudre de France Culture en 2007 (je n’ai pas noté les détails, je conduisait) expliquait que l’on constatait bien plus de jours de maladie dans des préfectures et collectivités territoriales (où les emplois ont augmenté de 25% en 2008) que dans les services d’urgence en hôpitaux où le travail avait un sens profond : sauver des vies.

3. Le contexte d’aujourd’hui

Quels sont les éléments spécifiques de notre époque qui influent sur notre rapport au travail ? Voilà une autre question que l’on souhaiterait voir traitée. L’aliénation du travail telle que définie par Karl Marx provient du fait que le travailleur est dépossédé de l’outil de création de richesse. Cette analyse est-elle toujours pertinente aujourd’hui dans l’économie de la connaissance ? Peter Drucker, qui a définit le travailleur de la connaissance dès 1959 répond à cette question.

Un dernier point que ces “réflexions” n’aborde jamais est le suivant : nous sommes condamnés à créer de la richesse pour maintenir notre niveau de vie. Et cela est bien plus compliqué aujourd’hui, alors que des continents de millions de personnes accèdent à la classe moyenne, qu’il y a cinquante ans, lorsque nous exploitions les richesses des pays du sud.

Créer des emplois publics à l’utilité discutable permet de répondre à une question (comment occuper ces personnes) mais crée un problème (l’endettement des nos enfants) sans répondre à cet impératif premier.

L’impensé de l’épanouissement

Sauf à accepter de tirer un trait sur ce niveau de vie, il n’y a pas d’alternative : nous devons accepter l’idée qu’il est possible d’être heureux en travaillant, puis apprendre à le devenir, car ainsi nous produirons davantage de richesse. Cela relève de l’impensé, voir même du blasphème, dans une république laïque où les jours de congés liés à la religion sont encore très nombreux.

Au coeur de cette idée se trouve l’hypothèse que l’essentiel n’est pas dans le quoi (ce que nous faisons) mais bien dans le comment : comment nous travaillons ensemble, aujourd’hui – i.e. le rôle du management. C’est moins gratifiant lorsqu’on se présente en soirée mais, d’expérience, bien plus épanouissant.

C’est le coeur même du sujet de #hypertextual qui est exprimé par cette belle citation d’Eltchaninoff.

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